dimanche 15 février 2015

Libre d'apprendre BLOG16 - La Valeur du Jeu 1 : La définition du jeu aide à comprendre sa valeur

La Valeur du Jeu 1 : La définition du jeu aide à comprendre sa valeur
La liberté de quitter est un aspect essentiel de la définition du jeu

Le jeu chez notre espèce répond à de nombreux objectifs importants. C’est le moyen par lequel l’enfant développe ses capacités physiques, intellectuelles, émotionnelles, sociales et morales. Il s’agit d’un moyen pour créer et préserver des amitiés. Il fournit aussi un état d’esprit qui, en tant qu’adulte aussi bien qu’enfant, est particulièrement adapté aux raisonnements de haut niveau, à la compréhension pour résoudre des problèmes et à de nombreuses formes de comportements créatifs. Cet essai est le premier d’une série sur la valeur du jeu que je prévois de diffuser. Le sujet de ce premier article est la définition du jeu. Des indices sur la valeur du jeu se trouvent déjà dans sa définition.

La plus grande partie de cet essai se consacre à définir les caractéristiques du jeu, mais avant de les lister il y a trois points généraux dont je pense qu’il est important de garder à l’esprit. Le premier point est que les caractéristiques du jeu ont un rapport à une attitude mentale et une motivation et non pas une forme de comportement manifeste. Deux personnes peuvent être en train de lancer une balle, de taper sur un clou, d’écrire des mots sur un ordinateur et l’une des deux personnes peut être en train de jouer tandis que l’autre non. Pour savoir lequel est en train de jouer et lequel ne l’est pas, vous devez faire une déduction à partir de leurs expressions et du détail de leurs actions ce qui vous permettra de savoir pourquoi ils font ce qu’ils font et qu’elle est leur attitude à l’égard de ce qu’ils font.

Le deuxième point qui nous amène à la définition est que le jeu n’est pas nécessairement tout ou rien. Le jeu peut se relier avec d’autres motivations et attitudes dans des proportions qui vont entre 0% et 100% de jeu. Le jeu pur se produit plus souvent chez l’enfant que chez l’adulte. Chez les adultes, le jeu est communément mélangé avec d’autres motivations qui sont liées aux responsabilités de l’adulte. C’est pourquoi, dans les conversations quotidiennes, nous tendons à parler des enfants qui “jouent” et des adultes qui ont une “attitude ludique” ou un “esprit de jeu” dans leurs activités. Nous pensons intuitivement au sens du jeu comme une question de degré. Bien sûr nous n’avons pas les moyens de mesurer ces choses, mais j’estimerais que mon comportement en écrivant ce blog est aux alentours de 80% de jeu.

Le troisième point est que le jeu ne se définit pas soigneusement en identifiant une seule caractéristique. Plutôt, il est défini en convergeant plusieurs caractéristiques. Les personnes qui ont avant moi étudié et écrit sur le jeu, ont décrit de nombreuses caractéristiques, mais je pense qu’elles peuvent être réduites aux cinq suivantes :

1. Le jeu est choisi et dirigé par soi-même;

2. Le jeu est une activité dans laquelle le moyen a plus de valeur que le résultat;

3. Le jeu a une structure ou des règles, qui ne sont pas dictées par la nécessité physique mais qui émanent de l’esprit des joueurs;

4. Le jeu est imaginatif, non littéral et d’une certaine façon, le “réel” ou le “sérieux” de la vie est enlevé mentalement;

5. Le jeu implique une structure de l’esprit active, vigilante et dénuée de stress.

Plus une activité implique l’ensemble de ces caractéristiques, plus la plupart des personnes sont inclinées à se référer à cette activité comme un jeu. Par “la plupart des personnes” je ne veux pas seulement parler des chercheurs qui étudient le jeu. Même les jeunes enfants vont vraisemblablement utiliser le mot jeu pour des activités qui contiennent l’ensemble de ces cinq caractéristiques. Ces caractéristiques semblent capturer notre sens intuitif de ce qu’est le jeu. Remarquez que toutes ces caractéristiques ont un lien à la motivation ou l’attitude que la personne amène dans l’activité. Laissez-moi développer une par une ces caractéristiques et montrer un peu ce que cela implique que de penser aux raisons d’êtres du jeu.


1. Le jeu est choisi et dirigé par soi-même, les joueurs sont toujours libres de quitter.

Le jeu est premièrement et avant tout une expression de liberté. C’est ce que l’on veut faire qui s’oppose à ce que l’on est obligé de faire. La joie du jeu est un sentiment de liberté joyeuse. Le jeu n’est pas toujours accompagné par des sourires et des rires de la même façon que les sourires et les rires ne sont pas toujours le signe d’un jeu, mais le jeu est toujours accompagné par le sentiment de “Oui, c’est ce que je souhaite faire là maintenant.” Les joueurs sont des agents libres et non les pions du jeu de quelqu’un d’autre.

Non seulement les joueurs choisissent de jouer ou pas, mais ils dirigent aussi leurs propres actions durant le jeu. Comme je l’affirmerais ci-dessous, le jeu implique toujours des formes de règles, mais tous les joueurs sont libres de les accepter, et si les règles sont changées, alors tous les joueurs doivent être d’accord avec le changement. C’est pourquoi le jeu est la forme d’activité la plus démocratique. Dans les jeux sociaux (un jeu qui implique plus d’un joueur), un joueur peut apparaître un temps comme le chef, mais seulement à la volonté de tous les autres. Chaque règle qui est proposée par un chef doit être approuvée, du moins de manière implicite, par tous les autres joueurs.

La liberté ultime dans le jeu est la liberté de quitter. Une personne qui se sent forcée ou imposée à s’engager dans une activité et qu’il ne peut pas la quitter n’est pas un joueur mais une victime. La liberté de cesser fournit la fondation de tous les processus démocratiques qui prennent place dans un jeu social. Si un joueur tente de brutaliser ou de dominer les autres, les autres cesseront de jouer et le jeu sera terminé. C’est pourquoi les joueurs qui veulent continuer à jouer doivent apprendre à ne pas brutaliser ni dominer. Les personnes qui ne sont pas d’accord avec le changement de règle proposé peuvent de la même façon quitter le jeu, et c’est pourquoi les chefs dans le jeu doivent gagner le consensus des autres joueurs pour réussir à changer une règle. Les personnes qui commencent à sentir que leurs besoins ou désirs ne sont pas remplis dans le jeu peuvent le quitter, et c’est pourquoi les enfants apprennent dans le jeu à être sensible aux besoins des autres et font tout leur possible pour répondre à ces besoins. C’est à travers le jeu social que l’enfant apprend, par lui-même, sans cours, comment il peut répondre à ses propres besoins tandis qu’en même temps il satisfait les besoins des autres. Il s’agit peut-être de la leçon la plus importante que les personnes dans n’importe quelle société peuvent apprendre.

Ce point qui concerne le jeu qui est choisi et dirigé par soi-même est ignoré ou peut-être inconnu de nombreux adultes qui essayent de prendre le contrôle sur le jeu des enfants. Les adultes peuvent jouer avec les enfants, et dans certains cas ils peuvent même être le chef dans le jeu des enfants, mais cela nécessite au minimum d’avoir la même sensibilité que les enfants eux-même montrent pour répondre aux besoins et aux souhaits de tous les joueurs. Parce que les adultes sont communément vu comme une figure d’autorité, lorsqu’il s’agit d’un adulte qui mène, les enfants se sentent moins souvent capables de quitter ou d’être en désaccord avec les règles proposées que lorsque c’est un enfant qui mène. Et ainsi, quand les adultes essayent de mener les enfantsdans un jeu le résultat est souvent que pour de nombreux enfants il ne s’agit pas du tout d’un jeu. Quand un enfant se sent forcé, l’esprit de jeu disparaît et tous les avantages de cet esprit s’en vont avec lui. Les jeux de math à l’école et les sports menés par des adultes ne sont pas des jeux pour ceux qui sentent qu’ils doivent participer et qui ne sont pas prêts à accepter les règles que les adultes ont établies pour eux. Les jeux menés par des adultes peuvent être grandiose pour les enfants qui les choisissent librement, mais ils peuvent ressembler à une punition pour les enfants qui n’ont pas fait ce choix.

Ce qui est vrai pour le jeu des enfants est aussi vrai pour le sens ludique des adultes. Les études de recherche ont montré que les adultes qui ont beaucoup de liberté dans la façon de réaliser leur travail font souvent l’expérience de ce travail comme d’un jeu, même (en fait, particulièrement) quand le travail est difficile. En contraste, les personnes qui, au travail, doivent juste faire ce que les autres leur disent de faire font rarement l’expérience de leur travail comme d’un jeu.

2. Le jeu est une activité dans laquelle les moyens ont plus de valeur que le résultat.

Un grand nombre de nos actions sont “libres” dans le sens que lorsque nous sentons qu’une autre personne nous les fait faire, ces actions ne sont pas libres, ou dans un autre sens, ne sont pas vécu comme étant libre. Ce sont ces actions que nous sentons devoir faire de manière à achever une certaine nécessité, un objectif ou une fin particulièrement désiré. Nous grattons une démangeaison pour se débarrasser de cette démangeaison, nous fuyons un tigre pour éviter d’être mangé, nous étudions un livre inintéressant pour obtenir une bonne note à un examen, nous travaillons à un travail ennuyeux pour avoir de l’argent. S’il n’y avait pas de démangeaison, de tigre, d’examen ou un besoin d’argent on ne se gratterait pas, on ne fuirait pas, on n’étudierait pas ou on ne ferait pas de travaux ennuyeux. Dans ces cas nous ne jouons pas.

Quand nous nous engageons dans une activité pour seulement atteindre une fin, un objectif qui est séparé de l’activité elle-même alors cette activité n’est pas un jeu. Ce à quoi nous donnons le plus de valeur quand nous ne jouons pas est le résultat de nos actions. Les actions sont alors simplement des moyens pour atteindre des finalités. Quand nous ne jouons pas, nous optons typiquement les moyens les plus rapides et qui nécessite le moins d’efforts pour achever notre but. Par exemple, l’étudiant non joueur et ayant un but orienté étudie le moins possible qu’il peut dans chaque cours pour obtenir la note qu’il désir, et son objectif est orienté sur la necessité de réussir ses examens. Pour lui tout apprentissage qui ne serait pas relié à cet objectif est une perte d’effort. Dans le jeu, toutefois, tout est inversé. Le jeu est une activité entreprise principalement pour elle-même. L’étudiant joueur aime étudier le sujet et est moins soucieux de l’examen. Dans le jeu, l’attention est dirigée sur les moyens, non pas les fins, et les joueurs ne cherchent pas nécessairement la route la plus facile pour achever les finalités. Pensez à un chat qui chasse une souris et un chat qui joue à chasser une souris. Le premier prend la route la plus rapide pour tuer la souris. Le deuxième essaye des moyens variés pour attraper la souris, qui ne sont pas tous efficaces, et laisse la souris s’en aller à chaque fois de manière à pouvoir essayer de nouveau. Le chat qui chasse aime la finalité, le chat qui joue aime les moyens. (La souris bien sûr, n’aime aucun des deux.)

Le jeu a souvent des objectifs, mais les objectifs sont des expériences qui font intrinsèquement partie du jeu et non pas la seule raison pour s’engager dans les actions du jeu. Les objectifs dans le jeu sont subordonnés aux moyens pour les achever. Par exemple, les jeux de construction (la construction ludique de quelque chose) sont toujours dirigés vers l’objectif de construire l’objet que le joueur a dans l’esprit. Remarquez alors que l’objectif principal d’un jeu de la sorte est la création de l’objet et non le fait d’obtenir l’objet. Les enfants qui réalisent un château de sable ne seraient pas content si un adulte venait et leur disait, “Tu peux arrêter tous tes efforts maintenant, je ferais le château pour toi.” Cela gâcherait leur plaisir. C’est le processus et non pas le produit final qui les intéresse. De la même façon, les enfants et les adultes jouent à des jeux compétitifs, ont les objectifs de marquer des points et de gagner, mais, s’ils jouent vraiment, c’est le processus de score et essayer de gagner qui les motivent, pas les points eux-même ou le statut d’avoir gagné. Si quelqu’un triche en ne suivant pas les règles ou s’il obtient le trophée et la gloire par un raccourci qui contourne le processus du jeu, alors cette personne ne joue pas.

Les adultes peuvent tester leur degré de jeu dans leur travail en se demandant eux-même : “Si je pouvais recevoir la même paye, les mêmes perspectives pour une future paye, la même quantité de reconnaissance de la part des autres personnes, et le même sentiment de faire du bon travail pour le monde en le faisant différemment de la façon dont on me demande de le faire, est-ce que je démissionnerais ?” Si la personne démissionne sans hésiter, alors son travail n’est pas un jeu. La situation dans laquelle la personne ne quitterait pas son travail, ne démissionnerait pas, c’est parce que son travail est un jeu. Il s’agit de quelque chose que la personne apprécie indépendamment des récompenses externes qu’elle reçoit pour les réaliser.

Une raison pour laquelle le jeu est un état d’esprit idéal pour la créativité et l’apprentissage est parce que l’esprit est orienté sur les moyens. Puisque les finalités sont comprises et secondaires, la peur de l’échec est absente et les joueurs se sentent libres d’intégrer de nouvelles sources d’information et d’expérimenter de nouvelles façons de faire quelque chose.

3. Le jeu est guidé par des règles mentales.

Le jeu est une activité librement choisie, mais ce n’est pas une activité ayant une forme libre. Le jeu à toujours une structure et cette structure provient de l’esprit du joueur. Ce point est vraiment une extension du point qui a été fait à propos de l’importance des moyens dans le jeu. Les règles du jeu sont les moyens. Le jeu est de se comporter en conformité avec les règles choisies par soi-même. Les règles ne sont pas comme les lois de la physique ou les instincts biologiques, qui sont suivis automatiquement. Mais plutôt, ils sont des concepts mentaux qui nécessitent souvent des efforts conscients pour être gardé à l’esprit et suivi.

Une règle de base des jeux de construction, par exemple, est que vous devez travailler avec une technique choisie de manière à réussir à produire ou à représenter des objets ou un design spécifique. Vous n’empilez pas des blocs aléatoirement, vous les organisez de manière délibérée en accord avec l’image mentale que vous essayez de réaliser. Même les jeux de bagarre et de chasse, qui peuvent sembler sauvage de l’extérieur, sont contenus dans des règles. Une règle toujours présente dans les jeux de bagarre, par exemple, est que vous imitez certaines actions des véritables combats, mais vous ne blessez pas vraiment une autre personne. Vous ne la frappez pas avec toutes vos forces (du moins, vous ne le faites pas si vous êtes le plus fort des deux), vous ne donnez pas de coup de pied, vous ne mordez pas, vous ne griffez pas. Les jeux de bagarre sont bien plus contrôlé que les vrais combats, il s’agit toujours d’un exercice de retenue.

L’une des formes les plus complexes de jeu, en matière de règle, est ce que les chercheurs du jeu appellent le jeu sociodramatique, le fait de jouer des rôles ou des scènes, comme lorsque les enfants jouent à la maman, au papa, qu’ils imitent un mariage ou qu’ils prétendent être des super héros. La règle fondamentale ici est que vous devez respecter votre compréhension et celle que vous partagez avec les autres joueurs du rôle que vous jouez. Si vous êtes le chien domestique de la maison, vous marcherez sur les quatre pates et aboierez plutôt que de parler. Si vous êtes un héros et que vous et votre partenaire de jeu pensez que ce héros ne pleurs jamais, alors vous vous abstiendrez de pleurer, même si vous tombez et que vous vous blessez.

Pour illustrer la nature à base de règle du jeu sociodramatique, le psychologue Russe Lev Vygotsky a écrit à propos de deux vraies soeurs, qui avaient cinq et sept ans et qui jouaient parfois à être soeurs. En tant que vraies soeurs, elles pensaient rarement à leur fraternité et n’avaient pas de manière cohérente pour se comporter l’une avec l’autre. Parfois elles s’appréciaient, d’autres fois elles se disputaient et à d’autres moments elles s’ignoraient. Mais quand elles jouaient à être soeurs, elles se comportaient toujours selon le stéréotype qu’elles partageaient de la façon dont les soeurs devaient se comporter. Elles s’habillaient de la même façon, parlaient de la même façon, elles s’aimaient toujours, elles parlaient des différences entre elles et tous les autres, et ainsi de suite. Bien plus de contrôle de soi, d’effort mental et de règle à suivre était impliqué à jouer les soeurs que dans le fait d’être soeurs.

La catégorie de jeu avec les règles les plus explicites sont ce que l’on appelle les jeux formels. Ce sont les jeux comme les échecs et le baseball, avec des règles qui sont spécifiées verbalement et conçues de manière à minimiser les ambiguïtés dans l’interprétation. Les règles de ces jeux sont généralement transmises d’une génération de joueurs à la suivante. De nombreux jeux formels dans notre société sont compétitifs et l’un des objectifs des règles formels est de s’assurer que les mêmes restrictions s’appliquent de manière égale à tous les compétiteurs. Les joueurs de jeux formels, s’ils sont de vrais joueurs, doivent adopter ces règles comme les leurs et d’être disposé à s’y tenir pendant toute la durée du jeu. Bien sûr, en dehors des versions “officielles” de ce genre de jeux, les joueurs modifient les règles pour les adapter à leurs propres besoins, mais chaque modification doit être acceptée par tous les joueurs.

Le point principal que je veut monter ici est que toutes les formes de jeux impliquent une bonne part de contrôle de soi. Quand ils ne jouent pas, les enfants (et les adultes aussi) peuvent agir selon leurs besoins biologiques immédiats, leurs émotions ou les caprices, mais dans le jeu ils doivent agir de manières qui soient appropriées pour eux et leurs partenaires de jeux. Le jeu attire et fascine le joueur, précisément parce qu’il est structuré par des règles que le joueur lui-même à inventé ou accepté.

Le chercheur du jeu qui a le plus mis en évidence la nature du jeu basé sur une règle est Lev Vygotsky, dont l’exemple que je viens de mentionner sur les soeurs qui jouent aux soeurs. Dans un essai sur le rôle du jeu dans le développement qui a été originellement publié en 1933, Vygotsky a fait un commentaire sur le paradoxe qu’il y avait entre l’idée que le jeu est spontané et libre et l’idée que les joueurs doivent suivre des règles :

Le ... paradoxe est que dans le jeu, l’enfant adopte la ligne de la moindre résistance, il fait ce qu’il ressent de faire quand il veut le faire parce que le jeu est connecté au plaisir et en même temps il apprend à suivre la ligne de la plus grande résistance en se subordonnant lui-même à des règles et ainsi à renoncer à ce qu’il veut, puisque la soumission aux règles et la renonciation de l’action impulsive constituent dans le jeu, le chemin vers le plaisir maximum. Le jeu crée continuellement une demande à l’enfant d’agir contre les impulsions immédiates. À chaque étape l’enfant est mis face à un conflit entre les règles du jeu et ce qu’il ferait s’il pouvait agir spontanément. Ainsi, l’attribut essentiel du jeu est le fait qu’une règle devienne un désir. … La règle gagne parce qu’elle est l’impulsion la plus forte. Une telle règle est une règle interne, une règle de contrôle de soi et d’autodétermination…. De cette façon, les plus grands exploits d’un enfant sont possibles dans le jeu, les plus grands exploits sont possibles dans le jeu et deviennent les réussites de demain qui seront son niveau de fondation dans ses actions réelles et sa moralité.” [1]

Ce qu’indique bien sûr Vygotsky est que le désir de jouer de l’enfant est tellement fort qu’il devient une force de motivation pour apprendre le contrôle de soi. L’enfant résiste aux impulsions et aux tentations qui iraient contre les règles parce que l’enfant cherche le plus grand plaisir en restant dans le jeu. À l’analyse de Vygotsky j’ajouterais que l’enfant accepte et désir les règles du jeu seulement parce qu’il est toujours libre de le quitter si les règles deviennent trop pénibles. Avec cela à l’esprit, le paradoxe peut sembler être superficiel. La véritable vie libre de l’enfant n’est pas restreinte par les règles du jeu parce que l’enfant peut choisir à n’importe quel moment de quitter le jeu. Sans cette liberté, les règles du jeu seraient insupportables. Avoir l’obligation d’agir comme un super héros dans la vraie vie serait terrifiant, mais jouer ce rôle dans un jeu, ce royaume que vous êtes toujours libre de quitter, est très amusant.

De la même façon que Vygotsky, j’affirmerais que la plus grande des valeurs du jeu parmi beaucoup d’autres réside pour notre espèce dans l’apprentissage du contrôle de soi. Le contrôle de soi est l’essence de l’être humain. (voir note du traducteur michaël seyne plus bas) Nous disons généralement que les personnes se comportent comme des “animaux” plutôt que comme des humains, quand ils échouent à respecter les règles acceptées de manière commune et à la place suivent de manière impulsive leurs pulsions et caprices immédiats.

De partout, pour vivre dans une société humaine, les personnes doivent se comporter en accord avec les conceptions mentales conscientes partagées concernant ce qui est approprié, et c’est ce que l’enfant pratique de manière constante dans leurs jeux. Dans le jeu, à partir de leurs propres désirs, l’enfant pratique l’art d’être humain.

4. Le jeu est non-litéral, imaginatif, et se démarque d’une certaine façon de la réalité.

Un autre paradoxe important du jeu, aussi démontré par Vygotsky, est que le jeu est une chose sérieuse sans être sérieuse, réelle sans être réelle. Dans le jeu on entre dans un royaume qui est physiquement situé dans le monde réel, utilise des accessoires du monde réel et il concerne souvent le monde réel, il est joué par des joueurs réels et pourtant d’une certaine façon il est retiré mentalement du monde réel.

L’imagination ou la fantaisie est la chose la plus évidente du jeu sociodramatique, ou les joueurs créent les personnages et l’intrigue, mais elle est aussi présente à divers niveaux dans toutes les formes du jeu humain. Dans les jeux de bagarres, le combat est une simulation, pas une réalité. Dans le jeu de construction, les joueurs disent qu’ils construisent un château, mais ils savent qu’il s’agit d’une imitation de château, non pas un vrai. Dans les jeux formels avec des règles explicites, les joueurs doivent accepter une situation fictionnelle déjà établie qui fournit la fondation pour les règles. Par exemple, bien qu’en réalité le fou puisse aller dans toutes les directions que l’on désire, dans le monde fantaisiste du jeu d’échecs, ils peuvent seulement se déplacer sur les diagonales.

L’aspect fantaisiste du jeu est intimement connecté à la nature des jeux à base de règles. Parce que le jeu prend place dans un monde fantaisiste, il doit être gouverné par des règles qui sont dans l’esprit des joueurs plutôt que dans les lois de la nature. Dans la réalité, on ne peut pas monter à cheval à moins qu’il y ait un vrai cheval qui soit physiquement présent. Mais dans le jeu on peut monter un cheval si la règle le permet ou l’impose. En réalité, un balai est un balai, mais dans le jeu il peut devenir un cheval. En réalité, une pièce d’échec est simplement une pièce de bois, mais aux échecs il s’agit d’un fou ou d’une tour qui a des capacités bien définies et des limitations pour le mouvement qui ne sont pas même inclus dans la sculpture en bois elle-même. La situation fictionnelle dicte les règles du jeu, le monde physique réel dans lequel le jeu est joué est secondaire. À travers le jeu, l’enfant apprend à prendre en charge le monde et ne pas simplement à y répondre passivement. Dans le jeu le concept mental de l’enfant domine et l’enfant façonne les éléments disponibles du monde physique pour rencontrer ce concept.

Les jeux de toutes sortes ont des “temps dedans” et des “temps dehors”, bien que cela soit plus clair pour certaines formes de jeux que d’autres. Le temps dedans est la période de la fiction. Le temps dehors est le retour temporaire à la réalité, par exemple pour lacer ses chaussures, aller aux toilettes ou pour corriger un joueur qui n’a pas suivi les règles. Pendant le temps dedans on ne peut pas dire, ‘je suis en train de jouer’, pas plus que l’Hamlet de Shakespeare ne peut annoncer sur la scène qu’il est simplement en train de faire semblant d’assassiner son beau-père.

Les adultes sont parfois confus face au sérieux des enfants dans le jeu et par le refus de ceux-ci alors qu’ils sont en train de jouer, de dire qu’ils sont en train de jouer. Ils s’inquiètent inutilement que l’enfant ne distingue pas la fantaisie de la réalité. Quand mon fils avait quatre ans il était superman pendant des périodes qui pouvait durer plus d’une journée. Durant ces périodes il niait catégoriquement qu’il soit en train de faire semblant d’être superman, et cela inquiétait son enseignante de la maternelle. Elle fut partiellement apaisée lorsque je lui dis qu’il n’essaya jamais de s’envoler du haut d’un grand immeuble ou d’arrêter un train sur la voie ferrée et qu’il admettait qu’il était en train de jouer dès le moment ou il retirait sa cape pour sortir du jeu. Pour reconnaître que le jeu est un jeu il faut retirer l’envoûtement magique qui tourne automatiquement le temps dedans en temps dehors.

Un fait incroyable de la nature humaine est que même un enfant de 2 ans connaît la différence entre le réel et le factice. Un enfant de 2 ans qui retourne sur une poupée une coupe remplie d’une eau imaginaire et qui dira “Oh oh, la poupée est toute mouillée” sait très bien que la poupée n’est pas vraiment mouillée. Cela serait impossible d’enseigner à de tels jeunes enfants les concepts subtils que sont les faux-semblants et pourtant ils le comprennent. Apparemment, le mode de pensée fictif et l’abilité de garder ce mode distinct du mode littéral sont innés à l’esprit humain. Cette capacité innée est une partie de la capacité innée pour jouer.

L’élément de fantaisie du jeu n’est pas aussi évident ou général dans le jeu des adultes que ça peut l’être dans le jeu des enfants. Il s’agit de la raison pour laquelle le jeu des adultes n’est généralement pas 100% du jeu. Et pourtant j’affirmerai que la fantaisie occupe un grand rôle, si ce n’est la plus grande partie de ce que font les adultes et qu’il s’agit d’un élément majeur de notre sens intuitif pour connaître le degré auquel les activités de l’adulte sont du jeu. Un architecte qui conçoit une maison, conçoit une maison réelle. Et pourtant, l’architecte a besoin d’utiliser une grande partie d’imagination pour visualiser la maison, imaginer comment les personnes l’utiliseront et faire correspondre ces nécessités avec des concepts esthétiques qu’elle a dans l’esprit. Il est raisonnable de dire que l’architecte construit une fausse maison dans son esprit et sur le papier avant que celle-ci devienne réelle.

Quand je dis que pour moi le fait d’écrire ce blog est autour de 80% de jeu, je prends en compte non seulement le sens de liberté en le faisant, le plaisir du processus et le fait que je suis des règles (à propos de l’écriture) que j’accepte comme étant mienne, mais aussi le fait qu’à un degré considérable d’imagination est impliqué. Je n’invente pas des faits, mais la façon dont je les relis ensemble et ma façon d’imaginer comment vous répondrez à ce que j’écris. Parfois ma fantaisie va même plus loin lorsque j’imagine que les idées que je présente auront un effet positif sur la société. Donc la fantaisie m’accompagne dans tout cela, autant qu’elle accompagne un enfant qui construit un château de sable ou qui imite superman. Le fait que des parties de ma fantaisie pourraient se transformer en réalité ne remet pas en cause son statut de fantaisie.

5. Le jeu implique une structure de l’esprit active, vigilante et dénuée de stress.

La dernière caractéristique du jeu suit naturellement les quatre autres. Parce que le jeu implique un contrôle conscient de ses propres comportements, avec une attention aux processus et aux règles, il nécessite un esprit actif et vigilant. Les joueurs n’absorbent pas passivement de l’information provenant de l’environnement, ne réponde pas aux stimuli de manière machinale, ou ne se comporte pas automatiquement en accord avec l’habitude. En outre, comme le jeu n’est pas une réponse à une demande extérieure ou à un fort et immédiat besoin biologique, la personne dans le jeu est relativement libre de ces fortes pulsions et émotions qui sont expérimentées, telles que la pression et le stress. Et comme l’attention du joueur est posée sur le processus plutôt que sur le résultat, l’esprit du joueur n’est pas distraint par la peur de l’échec. Alors, l’esprit de jeu est actif et vigilant mais il n’est pas stressé. L’état mental du jeu est ce que certains chercheurs ont appelé “l’écoulement” (NdT: flow). L’attention est à l’unisson avec l’activité elle-même et il y a alors une réduction de la conscience de soi et du temps. L’esprit est emballé dans les idées, les règles et les actions du jeu.

Ce point concernant l’état mental du jeu est très important pour comprendre la valeur du jeu comme étant un mode d’apprentissage et de production créative. La condition vigilante et libre de stress que favorise l’état de jeu est précisément la condition qui a été montré de manière répétée dans de nombreuses expériences psychologiques comme étant l’idéal pour la créativité et l’apprentissage de nouvelles aptitudes. De telles expériences ne sont normalement pas décrites dans le contexte du jeu, mais ce n’est pas s’éloigner trop loin de celles-ci que de faire un lien. Ce que les expériences montrent est qu’une forte pression pour être performant (ce qui provoque un état non ludique) améliore la performance sur des tâches qui sont mentalement simples ou habituelles pour la personne, mais dégrade les performances sur les tâches qui requièrent de la créativité ou la prise de décision consciente ou l’apprentissage de nouvelles aptitudes. En contraste, tout ce qui est fait pour réduire le souci de la personne en ce qui concerne le résultat et ce qui augmente le plaisir chez la personne de réaliser la tâche pour elle-même, augmente l’état d’esprit ludique et a un effet opposé.

Une forte pression pour être performant inhibe la créativité et l’apprentissage en orientant fortement l’attention et de manière étroite sur le but, et par là, cela réduit la capacité à être attentif aux moyens. Dans un état de pression, on tend à retomber dans nos instincts ou des manières bien apprises de faire des choses. Cette façon de répondre à la pression permet de s’adapter à de nombreuses situations d’urgence. Quand un tigre vous chasse, vous utilisez tous les moyens que vous avez déjà appris pour vous enfuir ou vous cacher, ce n’est pas le meilleur moment pour expérimenter de nouvelles choses. Les experts de tous les domaines peuvent généralement être assez bien performants dans des états de pressions parce qu’ils peuvent faire appel à leurs connaissances, à leurs modes habituels de réponses et n’ont pas besoin d’apprendre quelque chose de nouveau ou d’agir de manière créative. Leur attention peut se porter sur la production du meilleur résultat en utilisant le répertoire des actions qui sont déjà une seconde nature pour eux.

Quand nous mettons une pression sur les étudiants pour bien réaliser leur devoir à la maison en évaluant constamment leur travail, nous les mettons dans un état non ludique, dans un état orienté sur un objectif qui peut motiver ceux qui savent déjà comment faire pour être performant mais inhibe l’expérimentation et l’apprentissage sur ceux qui ne savent pas déjà comment faire. La pression élargit le fossé de la performance entre les experts et les débutants. Et même les experts doivent pouvoir jouer dans leur activité d’expertise s’ils veulent s’élever à des niveaux plus élevés de leur expertise. Et dans certains domaines tels que les arts et l’écriture d’essais, la créativité est demandée quelle que soit l’expérience que la personne a eue, et un état d’esprit ludique a toujours les meilleures performances dans ces domaines.

Quand une activité devient trop facile et trop habituelle, elle ne nécessite plus d’effort mental conscient, elle peut perdre son statut de jeu. C’est pourquoi les joueurs continuent de faire des jeux plus difficiles ou différent et continuent à élever les critères pour gagner. Un jeu est un jeu seulement s’il demande qu’un esprit actif et vigilant soit nécessaire pour bien le réaliser.

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Est-ce que cette définition étendue du jeu a un sens pour vous ? Est-ce que cela correspond à votre façon de penser le jeu dans la vie quotidienne ? Je pose cette question de manière sincère. Je veux, pour mon propre travail, être sûr que j’utilise le concept du jeu qui correspond avec le concept de jeu que les personnes trouvent utile dans leurs conversations quotidiennes. J’apprécierais beaucoup vos commentaires sur tout cela. Comme je l’ai dit, ces prochaines semaines, je développerais les différentes fonctions du jeu, à la fois chez l’enfant comme chez l’adulte, et je me référerais de temps en temps à la définition du jeu que j’ai fournie dans cet article. Restez connecté.


Réferences et notes :

[1] Lev S. Vygotsky, “The Role of Play in Development,” in M. Cole, V. John-Steiner, S. Scribner, & E. Souberman (Eds.). Mind in Society: The Development of Higher Psychological Processes, 92-104. (1978, original essay published in 1933).

(Note de Michaël Seyne : Le terme contrôle de soi est donné comme étant la plus grande valeur du jeu, je préfère personnellement le terme de connaissance de soi, dans la mesure où le contrôle nécessite l’intervention d’un facteur extérieur pour agir sur un soi-même qui serait sauvage sans cela. Je me réfère personnellement à une intelligence intérieure qui émerge par la connaissance de soi.)

traduit le 15 février 2015 par Michaël Seyne à partir d’un texte de Peter Gray