mardi 14 avril 2015

Peter Gray, L'échec de l'école n'est pas une fatalité, voici comment nous la réparons


L'échec de l'école n'est pas une fatalité, voici comment nous la réparons
Nos écoles emprisones les enfants et sapent leur enthousiasme à apprendre. Ce n'est pas une fatalité, réparez les comme cela.

Dans un précédent article (l'école est une prison), j'ai décrit l'échec de notre système éducatif, qui emprisonne les corps et les esprits des enfants et sapent leur curiosité naturelle et leur enthousiasme à apprendre. J'ai aussi décrit un paradigme radicalement différent dans lequel les enfants sont en charge de leurs propres éducations et apprennent de leurs propres manières avec naturel et j'ai résumé les preuves de la réussite de cette approche.

En réponse à cet article, certains m'ont demandé comment ces idées pourraient être appliquées à une échelle plus large, pour permettre à tous les enfants d'apprendre de cette façon. Je décris ici une vision pour le futur de l'éducation dans notre société et un chemin pour y arriver.

Commençons avec ce que tout le monde peut déjà voir. Un enfant engagé dans un apprentissage auto-dirigé est quelque chose de merveilleux à voir. Sa curiosité illimitée le mène à découvrir les choses qui l'intéresse et qui ont de l'importance pour lui. Il a de l'entrain pour explorer, comprendre, jouer avec et ainsi maîtriser ces choses, et sa joie quand il réussit est palpable. De tels enfants sont pleinement vivant au monde et à l'apprentissage.

Il s'agit de ce à quoi l'éducation ressemble pour les enfants qui n'ont pas encore atteint « l'âge de la scolarisation ». Comme je l'ai expliqué dans l'article précédent, cela reste ainsi tout le chemin de l'enfance à l'âge adulte pour ceux qui ont la chance de garder le contrôle sur leur propre éducation dans des environnements où ils peuvent continuellement étendre leurs horizons d'apprentissage. Cela pourrait être comme cela pour tous les enfants.

Maintenant, comme une scène qui serait possible dans notre paysage éducatif de notre futur, imaginez un centre dans votre communauté où les enfants et les adultes peuvent venir jouer, explorer, avoir de nouveaux amis et apprendre. Ils pourraient fournir des ordinateurs, des fournitures artistiques, des livres et des équipements scientifiques et athlétiques. La bibliothèque publique pourrait s'associer à lui, en fait le centre pourrait même être considéré comme une extension du système de parcs et bibliothèques disponible à l'utilisation par chacun. Il y aurait un gymnase pour les jeux énergiques à l'intérieur et des terrains et des arbres pour jouer dehors.

Il pourrait y avoir des cours offerts sur la musique, les arts, l'athlétisme, les maths, les langues étrangères, le management d'affaires, de gestion de finances, de travail du bois et du métal ou quoi que ce soit que les personnes considèrent comme étant amusant, intéressant ou suffisamment important pour nécessiter d'être étudié ou mis en pratique d'une manière structurée. Certains de ces cours pourraient être enseignés par des experts locaux qui aiment partager leur expertise. Mais il n'y aurait pas de conditions ou de comparaisons qui induisent du stress entre les personnes. Les personnes de tout âge pourraient former des groupes et poursuivre leurs intérêts particuliers.

Les enfants se précipiteraient dans ce genre de centre, non pas parce qu'ils le doivent, mais parce que c'est là où ils pourraient trouver leurs amis et des choses excitantes à faire. Le centre pourrait fournir aussi de la garde d'enfant, d'une manière efficace qui tire parti de la joie et du bénéfice que les enfants plus âgés reçoivent en aidant à prendre soin des plus jeunes. Dans cet environnement où les âges sont mélangés, les jeunes enfants apprennent continuellement de nouvelles aptitudes et les mettent en pratique de manières penser élevés à travers leurs interactions avec les plus âgés, et les plus âgés gagnent un sens de leur propre maturité et apprennent à encourager et apprendre des aptitudes de soutien en interagissant avec les plus jeunes. Ce sont les façons dont les enfants sont naturellement conçus pour apprendre.

Ceux qui joignent et utilisent le centre participeraient à sa gouvernance par des moyens démocratiques. Ils pourraient recruter plusieurs adultes et peut-être des adolescents pour aider à organiser les activités journalières. Les membres décideraient démocratiquement des règles de comportement et un système qui les renforcerait. Un tel centre serait un complément merveilleux aux opportunités d'apprentissage déjà disponible pour l'enfant à la maison (à travers la famille et Internet) et ailleurs dans la communauté.

Il s'agit juste de l'un des scénarios possible du futur de l'éducation que j'envisage. Les environnements varieront d'un lieu à un autre en accord avec les besoin et désir locaux. Le dénominateur commun est que l'éducation est comprise comme quelque chose qui s'élève de l'entrain et l'instinct naturel de l'enfant, leur curiosité, leur attention, leur esprit de jeu, leur sociabilité, leur désir de comprendre le monde qui les entoure, le désir de faire ce que les enfants plus âgés et les adultes peuvent faire et le désir de se préparer eux-même pour le futur, non pas comme quelque chose qui leur est imposé. Notre responsabilité publique est de fournir des environnements dans lesquels ces entrains et instinct naturels peuvent opérer avec un maximum d'efficacité pour tous les enfants, et non pas seulement les enfants nés de parents ayant des revenus moyens ou élevés.

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Notre système de scolarisation publique est supposé être un « grand égaliseur », mais ce n'est pas le cas. Il fait échouer les enfants qui viennent de familles économiquement pauvres à un niveau bien plus élevé que ceux qui s'en sorte mieux. Ce n'est pas une surprise. Le système de scolarisation compétitif d'enseignement et d'évaluation qui met en oppositions les élèves face à d'autres élèves dans une effort d'obtenir des niveaux, creuse une tranchée entre ceux qui savent déjà et ceux qui ne savent pas.

Ceux qui peuvent apprendre à la maison sur une base plus large que l'école, peuvent être performant dans cet environnement (du moins dans le système de mesures par niveaux) parce qu'ils n'ont pas à apprendre de choses nouvelles. Ceux qui n'ont pas les mêmes avantages à la maison doivent essayer d'apprendre ce que les autres savent déjà, et le stress de l'échec rend cela quasiment impossible. Certains développent une croyance fataliste en leur propre stupidité, d'autres laissent tomber, que ce soit physiquement ou juste mentalement, de la totalité de cette entreprise. Et ainsi, à chaque niveau scolaire, le fossé entre le plus et le moins s'agrandit davantage.

Les enfants venant des familles économiquement pauvres sont nés avec les mêmes entrains et capacités pour s'éduquer eux-même que ceux qui ont plus de moyens, mais ils ont besoin d'un aménagement de leur environnement qui leur donne de l'énergie pour leur permettre de le faire. Ils ont besoin d'un cadre où ils peuvent voir des personnes réelles qui aiment lire, écrire, partager des idées et faire de la politique. Ils ont besoin d'un cadre où ils peuvent connaître des personnes réelles qui sont médecins, ingénieurs ou chefs d'entreprises, ou encore d'autres qui ont atteint des statuts sociaux qu'ils n'ont pas l'habitude de rencontrer chez eux ou dans leur voisinage.

Ils ne trouvent rien de cela dans nos écoles d'aujourd'hui. Ils le trouveront dans des centres communautaires et d'autres environnements éducatifs que j'envisage pour demain. (Bien sûr, la transformation de l'éducation n'est pas la solution complète pour les problèmes d'inégalités et de pauvretés dans notre société. Nous avons aussi besoin d'approcher ce problème par d'autres moyens, quel que soit l'environnement éducatif.)

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Le besoin d'une transformation éducative vers un modèle dans lequel les étudiants sont en charge de leur propre éducation est plus apparent aujourd'hui que cela ne l'a jamais été. Le monde change rapidement, d'une manière qui a de puissantes implications éducatives. N'importe quels enfants et adultes avec une connexion Internet peuvent avoir accès aux informations du monde. En quelques cliques, ils peuvent trouver de l'information, des théories et des arguments qui répondent à une question qui les intéressent.

Cela devient ensuite le combustible de leurs propres pensées, qui peuvent ensuite être partagées avec d'autres, partout dans le monde, pour alimenter d'autres pensées critiques et partages. Nos enfants sont d'excellents utilisateurs de ces outils puissants, quand ils sont libres de les utiliser.

L'éducation auto-dirigée n'a jamais été aussi facile. Elle n'a aussi jamais été plus essentielle pour réussir. Notre économie qui change rapidement met l'auto-motivation, l'innovation et la capacité à acquérir de nouvelles aptitudes et évaluer de nouvelles idées tout le long de la vie comme étant une priorité. Les personnes n'ont pas à être farci d'informations pré-filtrées mais ils ont besoin de se sentir capable de chercher et penser les informations pertinentes à partir de leurs propres questions. Heureusement, cette capacité est naturelle à tous les êtres humains, elle existe chez tous les enfants. Nous devons simplement arrêter de l'écraser.

L'allure du changement est telle que nous ne pouvons pas prédire ce que les élèves d'aujourd'hui auront besoin de connaître pour les métiers de demain. Il y a de moins en moins de sens à enseigner un programme standardisé. Une chose que nous savons toutefois est que notre économie et notre société bénéficieront (et récompenseront) d'une grande diversité de talents et d'idées. Imaginez donc un monde dans lequel notre enfant qui grandit comme les branches d'un arbre qui se dirige dans toutes les directions pour trouver le soleil. Nous n'avons pas besoin de les diriger, nous avons juste besoin de leur fournir l'environnement éducatif où ils pourront se diriger par eux-mêmes.

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Certaines personnes se demandent si nous pouvons nous permettre de telles transformations éducatives. Bien sûr, nous le pouvons. Notre système actuel d'école forcé nous coûte 600 milliards d'impôts chaque année (aux États-Unis, états et localités ensemble) et encore 50 milliards en frais d'écoles privées. Selon la façon dont vous faites le calcul, nous dépensons en moyenne, quelque chose entre 10.000$ et 13.000$ pour l'année d'un enfant, de la maternelle jusqu'au lycée.

Avec une telle somme, imaginez les opportunités éducatives qui pourrait être offerte pour faciliter une éducation auto-dirigée. L'argent n'est pas le problème. L'éducation auto-dirigée est bien moins coûteuse que l'éducation forcée du haut vers le bas précisément parce qu'elle est auto-dirigée. L'école démocratique où j'ai conduit certaines de mes recherches, où les élèves contrôlent leur propre apprentissage, fonctionne sur un budget par élève qui est environ de moitié de celui des écoles publiques des environs.

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Comment allons-nous aller de ce point-ci à celui-là ? Comment allons-nous devenir une nation où tous les enfants peuvent apprendre de la manière dont ils sont conçus pour apprendre ? La transformation devra venir de la base. Notre institution éducative et nos leaders politiques sont en général incapables de mener une telle transformation. Ils ont un trop grand nombre d'intérêts investi dans le statu quo. Ils persistent continuellement à réformer dans une direction puis dans une autre parce qu'ils réalisent que notre système éducatif est cassé. Mais ces réformes ne remettent jamais en question le paradigme fondamental, et c'est pourquoi, sur le long terme, les réformes ont toujours été inefficaces.

Nous avons besoin de transformer le paysage de l'éducation plutôt que de le réformer. Cette transformation a déjà commencé, non pas à l'intérieur du système scolaire standardisé, mais à l'extérieur. Avec chaque année qui passe, un pourcentage toujours plus grand de familles font sortir leurs enfants des écoles publiques et privées parce qu'elles voyent la nuisance que l'école inflige et les bénéfices d'une approche différente.

Un grand nombre de ces familles choisissent pour leurs enfants l'apprentissage auto-dirigé à la maison et d'autres trouvent ou créent des écoles démocratiques. Certaines écoles démocratiques et centres de ressources communautaires pour l'apprentissage auto-dirigé ouvrent en centre-ville en visant délibérément pour le mélange d'enfants venant familles ayant des revenus moyens et bas et en offrant gratuitement les frais d'inscription pour ceux qui ne peuvent pas payer. Ces personnes mènent le chemin de la transformation éducative. Alors que davantage de familles suivent, davantage d'autres personnes verront que l'éducation auto-dirigée fonctionne et que la cadence à laquelle les familles sortiront de la scolarisation standard va accélérer.

Les familles qui arrêtent d'envoyer leurs enfants dans les écoles conventionnelles, deviendront un groupe de vote toujours plus puissant. Ils insisteront sur le fait que les 600 milliards de dollars d'impôts publics utilisés actuellement pour soutenir les écoles coercitives soient utilisées à la place pour enrichir l'aménagement d'opportunités d'éducation libre. À un certain moment de ce processus, notre système d'écoles publiques et privées actuel arrivera à une croisée des chemins, soit il se transformera, soit il n'aura plus aucune pertinence.

Certaines personnes pensent que le genre de transformation éducative que je décris ici n'est qu'une utopie fantaisiste, mais ce n'est pas le cas. Elle prend déjà place et l'allure à laquelle elle se met en place accélère. Je suis un scientifique, un réaliste et une personne qui a vécus suffisamment longtemps pour voir des changements très positif en direction d'une augmentation de la démocratie et des droits humains dans notre société.

Nous avons fait de grand pas des droits de l'homme en direction des Afro-américains, des femmes et plus récemment des gays et lesbiennes. Le besoin de transformation dans l'éducation que j'ai décris ici ne concerne pas simplement la façon dont on améliore l'éducation dans notre culture, il s'agit aussi d'une question en rapport aux droits de l'homme. Nos enfants ont le droit et ont besoin, pour leur bien-être, de jouer, explorer et apprendre de la manière que la nature la voulut.

En utilisant les mots de Victor Hugo, « On peut résister à l'invasion d'une armée, mais pas à une idée dont le temps est passé. »

Publié par Peter Gray le 07 Septembre 2013 et traduit par Michaël Seyne le 12 Avril 2015

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