mardi 12 mai 2015

Libre d'apprendre BLOG19, La Valeur du Jeu 4, la méthode de la nature pour nous enseigner de nouvelles aptitudes

La Valeur du Jeu 4, la méthode de la nature pour nous enseigner de nouvelles aptitudes
Le pouvoir éducatif du jeu réside dans son apparente trivialité.


D'un point de vue biologique et évolutionnaire, l'objectif principal du jeu est de soutenir l'apprentissage des compétences. Le jeu est la méthode de la nature pour assurer aux jeunes mammifères, ce qui inclut les jeunes humains, de pratiquer et de devenir bon dans les compétences qu'ils ont besoin de développer de manière à survivre et prospérer dans leurs environnements. Le philosophe et naturaliste allemand Karl Groos a développé l'idée il y a plus de 100 ans et là développé dans deux livres, Le Jeu des Animaux(1898) et Le Jeu de L'homme(1901).


La pratique à travers le jeu des aptitudes de survie par les jeunes animaux.

Groos était en avance sur son temps, à la fois avec sa pensée sur l'évolution et celle sur le jeu. Il comprit bien les écrits de Charles Darwin et il avait une compréhension moderne et sophistiquée des instincts. Il reconnaissait que les animaux, particulièrement les mammifères, doivent apprendre à des degrés divers à utiliser leurs instincts. Les jeunes mammifères viennent au monde avec la pulsion biologique et les tendances instinctives de se comporter de certaines manières, mais pour être efficace dans ces comportements ils doivent être mis en pratique et raffiné.

Le jeu, selon Groos, est essentiellement un instinct permettant de mettre en pratique les autres instincts. Dans Le Jeu des Animaux (p75) Groos, écrit : « Les animaux ne peuvent pas être poussés à jouer parce qu'ils sont jeunes et pleins d'entrain, mais ils ont plutôt une période de leur jeunesse consacrée exclusivement au jeu, et c'est seulement en faisant cela qu'ils peuvent compléter leur dotation héréditaire insuffisante en amenant une expérience individuelle qui permettra de répondre aux différentes tâches de la vie à venir. » Cohérent avec sa théorie, Groos a divisé le jeu des animaux en catégories qui représentent les différents types d'aptitudes que le jeu soutient. Par exemple il y a le jeu en mouvement (courir, sauter, grimper, se balancer dans les arbres et ainsi de suite), les jeux de chasses, les jeux de combat et les jeux de soin (l'imitation de soin d'un bébé).

La réponse de Groos à la question de l'objectif biologique du jeu nous permet de donner du sens à la structure du jeu que nous voyons dans tout le monde animal. Pour commencer, elle répond au pourquoi les jeunes animaux jouent plus que ne le font les plus anciens de la même espèce, ils jouent plus parce qu'ils ont plus à apprendre. Cela explique aussi pourquoi les mammifères jouent plus que les autres animaux.

Les insectes, les reptiles, les amphibiens et les poissons viennent dans le monde avec des instincts plutôt fixes, étant donné leurs modes de vie, ils n'ont pas besoin d'apprendre beaucoup pour pouvoir survivre et il y a peu de preuves qui soutiennent l'idée d'un jeu chez eux. Les mammifères, d'un autre côté, ont des instincts plus flexibles, qui doivent être complétés et formés par l'apprentissage et la pratique que fournit le jeu.

La théorie de Groos explique aussi les différences d'entrain à jouer découvert parmi les différents ordres et espèces animales. Parmi les mammifères, les primates font partie de l'ordre le plus flexible et adaptable qui a le plus à apprendre, et ils sont ceux qui ont le plus grand esprit ludique de tous les ordres d'animaux. Parmi les primates, les êtres humains, les chimpanzés et les bonobos (une espèce de singe qui est très proche des chimpanzés et des humains) sont ceux qui ont le plus à apprendre et ils sont les espèces ayant le plus grand esprit ludique.

Aussi parmi les mammifères, les carnivores (ce qui inclut les espèces proches des chiens et des chats) sont généralement plus joueur que les herbivores, probablement parce que réussir à la chasse demande plus d'apprentissage que le fait de réussir à paître. En dehors des mammifères, la seule autre classe d'animaux chez qui le jeu a été régulièrement observé est celui des oiseaux. Les animaux les plus joueurs sont les corvidés (corbeaux et pies), les rapaces (faucons et leurs cousins) et les perroquets. Ce sont les oiseaux qui ont de longues vies avec des cerveaux plus larges en rapport au poids de leur corps que les autres oiseaux et qui ont une grande flexibilité et ingéniosité dans leurs vies sociales et leurs façons d'obtenir de la nourriture.

L'idée que l'objectif du jeu est de soutenir l'apprentissage d'une aptitude nous aide à comprendre les différences chez chaque espèce dans le type de jeu de la même façon que la quantité de jeu. À un degré considérable, vous pouvez prédire ce à quoi un animal jouera en sachant quelles aptitudes il doit développer pour survivre et se reproduire.

Les lionceaux et les jeunes des autres prédateurs jouent à se traquer et à se poursuivre, les jeunes zèbres, gazelles et les animaux qui sont chassés par les lions et autres, jouent à se fuir et à s'éviter. (voir mon article Les sports et les jeux de poursuite, pourquoi aimons nous être chassé ?  ), les jeunes singes jouent à se balancer d'une branche à une autre dans les arbres. Parmi les espèces qui ont les mâles qui se battent les uns avec les autres pour accéder aux faveurs des femelles, les jeunes mâles entreprennent davantage de jeux de combat que ne le font les jeunes femelles. Et, chez certaines espèces de primates, les jeunes femelles et non les mâles, s'engagent dans des jeux de soin aux très jeunes.


Les enfants humains pratiquent toutes sortes d'aptitudes à travers le jeu, incluant des compétences spécifiques à leur culture.

Dans le Jeu de L'homme, Groos élargit son idée du jeu animal vers celui des humains. Il montra que les êtres humains, bien plus que toutes les autres espèces, doivent apprendre différentes compétences selon la société dans laquelle ils se développent. Il affirma que la sélection naturelle conduit l'enfant humain à de fortes pulsions à observer les activités de leurs aînées et à intégrer ces activités dans leurs jeux.

Les enfants de toutes les cultures jouent à certaines activités générales qui sont essentielles à toutes les personnes de partout, mais il y a aussi des formes de jeu spécifiques dans chaque catégorie qui sont influencées par les activités qui les entourent. Quand les enfants sont libres, ils jouent bien plus, et dans une bien plus grande variété de moyens que ne le font les jeunes de n'importe quelle autre espèce parce qu'ils ont bien plus à apprendre.

Cohérent avec la théorie de Groos, l'enfant joue d'une manière qui soutient une grande variété d'aptitudes que l'être humain doit développer et cela peu importe ou il se trouve :

  • Nous, comme tous les mammifères, sommes des êtres physiques qui devons développer nos corps pour être fort et apprendre à nous déplacer de manière coordonnée, et ainsi nous avons des jeux physiques, qui incluent des jeux de poursuite et de lutte qui sont très similaires que les jeux des autres mammifères. Dans de nombreux autres aspects toutefois, nous sommes uniques et nos jeux réfléchissent cette singularité.

  • Nous somme un animal linguistique, et nous avons ainsi des jeux de langage qui nous enseignent comment parler.

  • Nous sommes Homo sapiens, l'animal sage et nous avons ainsi des jeux d'exploration qui combinent la curiosité avec un esprit ludique qui nous enseigne ce dont on a besoin à propos du monde autour de nous.

  • Nous sommes un animal technique, qui survit en construisant des choses, par exemple des abris, des outils, des appareils pour nous aider à communiquer et d'autres qui nous aident à nous déplacer d'un lieu à un autre. Nous avons pour cela des jeux de construction qui nous enseignent comment construire.

  • Nous sommes des espèces intensément sociales, qui demandent à coopérer avec les autres pour pouvoir survivre, et ainsi nous avons un grand nombre de formes de jeux sociaux, qui nous enseignent à coopérer et à maîtriser nos impulsions de manière à nous rendre socialement acceptable.

  • Nous somme un animal imaginatif capable de penser à des choses qui ne sont pas présentent immédiatement et ainsi nous avons des jeux fantaisistes, qui construisent et exercent notre capacité pour l'imagination et fournit une fondation pour ce que l'on appelle l'intelligence.


Les termes que j'ai mis en gras ne se réfèrent pas de manière exclusive à des catégories de jeu, mais plutôt à des fonctions variées que le jeu peut servir. N'importe quelle occasion de jeu peut servir à une ou plusieurs de ces fonctions. Un jeu de groupe animé à l'extérieur peut être un jeu physique, de langage, d'exploration, de construction, social et imaginatif tout à la fois. Le jeu, dans toutes ses formes combinées participe à nous construire comme être humain entièrement fonctionnel et efficace. (Pour voir ce sujet en profondeur, voir mon article La variété des Jeux répond aux besoins de l'existence humaine)

Aussi, en cohérence avec la théorie de Groos, les études interculturelles du jeu ont montré que les enfants jouent particulièrement aux formes d'activités qui sont les plus valorisées par leur culture. Les enfants des cultures de chasseurs-cueilleurs jouent à chasser et à cueillir en utilisant le même genre d'outils que ceux utilisés par les adultes de leur culture.

Les enfants dans les communautés agricoles jouent à prendre soin des animaux et à cultiver des plantes. Les enfants des cultures modernes occidentales jouent à des jeux qui impliquent la lecture et les nombres, s'ils grandissent dans des environnements où ceux-ci sont valorisés, ils jouent aussi avec des ordinateurs et avec d'autres formes de technologies qui sont les outils d'aujourd'hui.

Pour aller au-delà de Groos, j'ajouterais que les enfants sont attirés par le jeu, non pas seulement pour les aptitudes et compétences qui sont les plus importantes et valorisé par les adultes autour d'eux mais aussi, de manière plus intense par des aptitudes qui sont nouvelles et en développement. À cause de cela, les enfants apprennent généralement à utiliser les nouvelles technologies plus rapidement que ne le font leurs parents.

D'un point de vue évolutif, ceci n'est pas un accident. À un niveau génétique profond, l'enfant reconnaît que l'aptitude la plus importante à apprendre est celle qui sera d'une importance croissante dans le futur, celle de sa propre génération, qui peut être différente des aptitudes de la génération de ses parents. La valeur de cette attraction à ce qui est nouveau est particulièrement apparent dans nos temps modernes où des compétences particulières sont nécessaires pour maîtriser des technologies qui changent très rapidement.


La nature du jeu est bien adaptée à l'objectif de renforcement des aptitudes.

Le jeu par définition est une activité qui est psychologiquement écarté du monde réel. C'est une activité réalisée pour elle-même et non pas une activité qui a un objectif sérieux tel qu'obtenir de la nourriture, de l'argent, une médaille, des encouragements ou même une mention sur son curriculum vitae. (voir l'article La définition du jeu aide à comprendre sa valeur).

Quand nous offrons de telles récompenses aux enfants qui sont en train de jouer, nous transformons leur jeu en quelque chose qui n'est plus du jeu. Parce que le jeu est une activité réalisée pour elle-même plutôt que pour un résultat conscient extérieur, on pense souvent que le jeu est frivole et insignifiant. Mais voici un point délicieusement paradoxal : Le pouvoir éducatif du jeu réside dans son insignifiance.

Le jeu sert l'objectif sérieux de l'éducation, mais le joueur n'est pas en train de s'éduquer lui-même délibérément. Le joueur joue seulement pour le plaisir du jeu et pour rien d'autres, l'éducation est simplement un effet secondaire. Si le joueur devait jouer pour un objectif sérieux, la plus grande partie du pouvoir éducatif du jeu serait perdue.

Puisque l'enfant qui joue ne s'inquiète pas de son futur et parce que pendant qu'il joue, il ne souffre pas des conséquences de l'échec du monde réel, parce que le jeu est insignifiant, l'enfant qui joue n'a pas peur de l'échec. Comme l'enfant ne cherche pas une approbation, un encouragement, une médaille ou quoi que ce soit qui serait jugé par un adulte, l'enfant qui joue est non entravé par les soucis des évaluations.

La peur et les soucis qui résultent de l'évaluation tendent à geler l'esprit et le corps dans des cadres rigides, des cadres qui sont adaptés pour répondre à des activités habituelles bien apprises mais pas pour apprendre de nouvelles actions ou penser à de nouvelles idées. En l'absence du souci d'échouer et des autres jugements, les enfants qui jouent peuvent consacrer toute leur attention sur les compétences avec lesquelles ils sont en train de jouer.

Ils font tout leur possible pour être performant, parce que être bien performant est un objectif qui est propre au jeu. Ils savent simplement que s'ils échouent, il n'y aura pas de conséquences sérieuses dans le monde réel et ils se sentent alors libres d'expérimenter, de prendre des risques qui seront déterminants pour l'apprentissage. Ils n'ont pas besoin de consacrer une grande partie de leurs ressources mentales à des tâches qui ont pour objectif de répondre à ce qui a été déterminé par ce que des juges extérieurs veulent voir. Ils peuvent diriger leurs activités selon leur préparation et non pas selon le programme qu'un juge a choisi pour eux.

Un autre aspect du jeu, en dehors de son insignifiance, est que si le jeu est bien adapté au renforcement des compétences c'est grâce à son aspect itératif et répétitif. Avez-vous remarqué qu'un grand nombre de jeux implique un grand nombre de répétition ? Un chat va traquer de manière ludique une souris en la relâchant pour pouvoir la poursuivre de nouveau. Un bébé qui de manière ludique va gazouiller en répétant les mêmes syllabes ou le même type de syllabes, parfois en altérant légèrement la séquence, comme s'il pratiquait délibérément leur prononciation.

Un tout-petit qui joue à marcher peut continuer à répéter le même chemin en avant et en arrière. Un jeu enfant qui lit de manière ludique, peut lire et relire plusieurs fois (et même mémoriser) un petit livre. Un grand nombre de jeux structurés, tel que le jeu du loup, le foot ou d'autres demande une grande répétion des même actions ou processus. La répétition dans ces cas-là n'est pas qu'une simple mémorisation extérieure.

Si la répétition d'une action vient de la propre volonté du joueur, chaque action répétitive est alors un acte créatif. Si l'acte est exactement le même que l'acte précédent, c'est parce que le joueur souhaitait faire en sorte qu'il s'agisse du même, et il fait alors tout son possible pour qu'il soit le même.

Si bien que chaque acte « répété » est systématiquement différent d'une certaine façon que le précédent, le joueur fait varier délibérément l'acte pour répondre au jeu ou à l'expérience avec de nouvelles manières de faire la même chose. Un effet secondaire d'une telle répétition est la perfection et la consolidation de la nouvelle compétence qui se développe.

Les mêmes compétences que l'enfant apprend naturellement dans le jeu deviennent difficiles dans un environnement scolaire typique. La lecture est un excellent exemple. Il y a de nombreuses années, j'ai regardé mon plus jeune frère apprendre à lire, par son propre jeu avant qu'il commence à aller à l'école, et plus tard j'ai regardé mon fils faire la même chose. À l'école sudbury valley, l'école démocratique non-école que j'ai décrit dans des articles précédents (Leçons de l'école Sudbury Valley ) un grand nombre d'enfants ont appris à lire par le jeu, à une grande variété d'âges différents, parfois en étant parfaitement inconscient de leur apprentissage. Dans cette communauté d'âges mixtes, où il n'y a pas de cours formel de lecture, les enfants apprennent à lire parce que lire est une part valorisée de leur environnement social.

Ils voient les autres enfants lire et les entendent parler de ce qu'ils ont lu, ce qui les amène à vouloir lire. Ils jouent à des jeux qui impliquent le mot écrit. Des adultes et des adolescents qui aiment leur lire, lisent pour eux. Ils veulent sans cesse entendre le même livre jusqu’à ce qu'ils l'aient mémorisé, et alors ils lisent le livre de manière ludique, les livres qu'ils ont mémorisé jusqu'à ce que leur prétendue lecture se transforme en lecture réelle.

C'est à contraster avec l'apprentissage de la lecture dans les écoles standardisées qui est douloureux pour de nombreux enfants et leur laisse une cicatrice à vie avec la lecture. Imaginez ce que c'est pour un enfant qui, pour une raison ou une autre, est un peu plus lent que les autres à apprendre dans une classe.

La lecture devient une mesure la valeur de soi et une source d'angoisse et de honte, et ces émotions rendent l'apprentissage de la lecture, non pas seulement douloureux, mais difficile. Quand les enfants ont la possibilité d'apprendre la lecture à leur manière, à leur propre allure, par leur jeu autodirigé, la lecture devient et reste un grand plaisir de la vie. La même chose est vraie pour toutes les autres aptitudes. Même jeter une balle peut être difficile et impliquer la honte quand cela est enseigné à l'école plutôt qu'appris par le jeu.

Le jeu est la méthode de la nature pour nous enseigner les compétences dont nous avons besoin pour la vie. Mais notre système éducatif a de manière stupide transformé le jeu en ce que l'on appelle « la récréation » en le rendant véritablement insignifiant et en le marginalisant, et a transformé l'apprentissage en quelque chose que l'on appelle « le travail » en faisant de lui, par définition, quelque chose que les enfants ne veulent pas faire.

Article publié par Peter Gray le 01 Janvier 2009 et Traduit par Michael Seyne le 12 Mai 2015


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