Éducation
Intrusive Minimum, des leçons venant de l'Inde
Où
comment des milliers d'enfants appauvris
en Inde sont devenu capables
de se servir d'un ordinateur
Il
y a plus de dix ans, le 29 Janvier 1999, Sugata Mitra, qui était
alors le directeur scientifique du NIIT, une entreprise de
technologie d'information dont le siège se trouve à New Delhi a
initié un ensemble d'études sur l'apprentissage autodirigé des
enfants.
Ce
jour, Mitra alluma un ordinateur qu'il avait installé dans un mur
extérieur du bâtiment du NIIT, un des murs qui faisaient face à
l'un des bidonvilles les plus pauvres de New Delhi et dans une
communauté où la plupart des enfants ne vont pas à l'école, sont
analphabètes et n'avaient précédemment jamais vu un ordinateur. Il
alluma simplement l'ordinateur et le laissa là, en disant à la
foule d'enfants qu'ils pouvaient jouer avec, il enregistra ensuite à
l'aide d'une caméra toute l'activité qui entoura l'ordinateur.
Des
enfants, ayant pour la plupart entre 6 et 13 ans, s'approchèrent
immédiatement et commencèrent à explorer cette étrange
installation, qui pour eux leur semblait être une sorte de
télévision. Ils touchèrent certaines parties et apparemment par
accident découvrirent qu'ils pouvaient déplacer un curseur sur
l'écran en bougeant leurs doigts le long d'un pavé tactile. Ceci
conduisit à une série de découvertes excitantes. Le curseur se
transforma en main quand il passait au-dessus certaines parties de
l'écran. En tapant (cliquant) sur le pavé tactile alors que le
curseur est une main, ils pouvaient changer l'écran. Ils cherchèrent
leurs amis avec enthousiasme pour leur montrer cette machine
fascinante.
Chaque
nouvelle découverte, réalisé par un enfant ou un groupe fut
partagé avec les autres. En quelques jours, des douzaines d'enfants
surfaient sur Internet, téléchargeaient de la musique et des jeux,
dessinaient sur le logiciel Paint et faisaient de nombreuses choses
que les enfants font partout avec des ordinateurs lorsqu'ils y ont
accès. Par la suite, Mitra et ses collègues répétèrent
l'expérience à 26 autres endroits de l'Inde, que ce soit en milieu
rural ou en milieu urbain les résultats furent toujours les mêmes.
Des découvertes similaires furent faites dans d'autres pays où des
ordinateurs extérieurs furent installés, au Cambodge, en Égypte et
en Afrique du Sud. Même maintenant, alors que j'écris ces lignes,
de nouveaux ordinateurs extérieurs sont installés dans différentes
parties appauvries du monde.
À
chaque fois qu'un kiosque à ordinateur était installé, des enfants
se rassemblaient rapidement, exploraient l'appareil et sans aucun
autre aide que celui qu'ils se fournissaient les uns avec les autres,
ils découvrirent des manières excitantes de l'utiliser. Les enfants
inventèrent des noms pour faire référence à l'ordinateur, à ses
parties, les icônes variées qui apparaissent à l'écran, et aux
différentes activités qu'ils peuvent accomplir avec l'ordinateur.
Par exemple, un groupe (dans leur langue maternelle hindi) se
réfèrent au curseur avec « l'aiguille » et les dossiers
avec « les placards ». Ceux qui ne connaissaient pas
l'anglais ont appris de nombreux mots anglais grâce à leurs
interactions avec l'ordinateur et leurs discussions avec d'autres sur
celui-ci. Les enfants qui pouvaient lire trouvèrent et
téléchargèrent des articles qui les intéressaient dans le langage
dans lequel ils étaient lettrés (généralement l'hindi ou le
marathi).
Mitra
et ses collègues décrivirent la forme d'éducation qu'ils
expérimentèrent comme étant une éducation intrusive minimum, une
description qui fut empruntée au monde médical de la chirurgie. Il
s'agit d'une éducation avec une quantité minimale d'intrusion dans
la vie des enfants. Les expériences démontrent que les enfants
apprennent à une allure incroyablement rapide sans enseignants
adultes. Tout ce que les éducateurs ont eu à faire était de
fournir l'outil, l'ordinateur. La curiosité, l'esprit ludique et la
sociabilité de l'enfant se sont ensuite déployées naturellement.
Mitra
et son équipe estiment que pour chaque ordinateur extérieur qu'ils
ont installé, une moyenne de 300 enfants devint capable d'utiliser
un ordinateur dans les trois mois qui ont suivi la mise en
disponibilité de l'ordinateur. Sur une période de trois mois et
pour 100 ordinateurs, c'est environ 30,000 enfants capables
d'utiliser un ordinateur. Ce que Mitra veut dire par « capable
d'utiliser un ordinateur » il dit que c'est d'être en
« capacité de faire la quasi-totalité de ces tâches » :
-
Utiliser confortablement toutes les fonctions opérationnelles de l'interface Windows, cliquer, déplacer, ouvrir, fermer, redimensionner, réduire, agrandir, naviguer dans les menus, ainsi de suite.
-
Dessiner et peindre avec un ordinateur.
-
Sauvegarder et charger des fichiers.
-
Jouer à des jeux.
-
Lancer des programmes éducatifs ou d'autres logiciels.
-
Naviguer et explorer Internet si une connexion est disponible.
-
Configurer un compte et envoyer/recevoir des emails.
-
Discuter en ligne.
-
Réaliser de simples dépannages. (par exemple si l'enceinte et le son ne fonctionnent pas)
-
Télécharger et jouer avec les médias en streaming.
-
Télécharger des jeux.
Sur
la base de plusieurs tests donnés à des enfants choisis
aléatoirement qui utilisaient des ordinateurs extérieurs, Mitra a
conclu que les capacités des enfants à apprendre dans ce cadre
« semblent être indépendantes de leur milieu éducatif, de
leur niveau d'alphabétisation en anglais ou de n'importe quel autre
niveau linguistique, sociale ou économique, de leur appartenance
ethnique et de leur place d'origine (ville ou village), de leur
genre, de leur base génétique, de leur situation géographique et
de leur intelligence. »
Les
observations de Mitra souligne
d'une belle façon de nombreuses idées que j'ai discuté dans ce
blog. Mon thème principal est que les
enfants s'éduquent par eux-même. Mitra a observé que les
enfants s'enseignent à eux-même l'utilisation de l'ordinateur, et à
ensuite utilisé l'ordinateur pour leur enseigner bien plus. Ils ont
fais cela parce qu'ils ont en eux-même un jeu d'instincts puissant
pour l'auto-éducation, les instincts de curiosité, d'esprit ludique
et de sociabilité.
La
curiosité : Tous les mammifères sont curieux, mais les
humains le sont encore davantage et particulièrement dans l'enfance.
Comme nous sommes des animaux qui utilisent des outils, notre
curiosité nous conduit à explorer de nouveaux objets avec nos sens
et aussi à les explorer avec nos muscles. Quand nous voyons quelque
chose de nouveau, nous voulons savoir ce que l'on peut faire avec.
Les enfants à partir de la naissance explorent les nouveaux objets
en les manipulant, en les poussant, en les secouant, en les écrasant,
en les faisant tomber, en les lançant et les faisant rebondir pour
voir quel genre d'effet intéressant cela peut être produit. Dans
les expériences de Mitra, la curiosité amène les enfants vers
l'ordinateur extérieur et les motive à le manipuler de manières
différentes pour en apprendre ses propriétés. Les manipulations
mènent à des découvertes excitantes qui conduisent à leur tour à
de nouvelles questions et à de nouvelles découvertes. Par exemple,
la découverte que cliquer sur une icône entraîne un changement sur
l'écran, amène les enfants à cliquer sur tous les icônes
disponibles pour simplement voir ce qu'il se passe.
L'esprit
ludique : Tous
les jeunes mammifères ont un esprit ludique, mais les enfants
humains sont ceux qui l'ont le plus. La fonction évolutive première
de l'esprit joueur chez l'enfant comme chez les jeunes des autres
mammifères est le développement des compétences (article).
Le jeu implique des actions répétitives mais variées qui ont pour
objectif de produire les effets que le joueur a à l'esprit. Les
actions à la fois physiques et mentales sont accomplies pour le
simple plaisir de les accomplir, et les aptitudes deviennent des
conséquences de ces actions. Dans les expériences de Mitra,
l'esprit ludique mène les enfants à devenir hautement compétent à
l'utilisation des fonctions de l'ordinateur. Par exemple, les enfants
qui ont déjà exploré le programme Paint et savent comment
l'utiliser étaient motivé à jouer avec ce programme, qui est de
dessiner de nombreuses images. Par un tel jeu, ces enfants deviennent
compétents au dessin informatique. Par le jeu, les enfants
consolident leurs connaissances déjà acquises et développent des
compétences en utilisant cette connaissance. Souvent le jeu mène de
manière par inadvertance à de nouvelles découvertes, qui
renouvellent et mène à de nouveaux domaines d'exploration. Le jeu
et l'exploration sont inséparablement mélangés.
La
sociabilité : Nous ne sommes pas seulement un animal
merveilleusement curieux et ludique, mais nous sommes aussi un animal
merveilleusement sociable. Notre sociabilité est telle que nous
voulons savoir ce que les autres personnes pensent et nous voulons
partager nos histoires et nos connaissances avec les autres. Ceci,
peut-être d'ailleurs bien plus que tout le reste est ce qui nous
distingue des autres mammifères. Par le langage et notre désir de
communiquer avec l'autre et de le comprendre nos esprits sont reliés
dans un vaste réseau avec les esprits des autres personnes. Aucun
autre animal n'a une telle capacité et pulsion pour la communication
et c'est pourquoi aucun autre animal n'a développé la culture que
nous avons. Dans les expériences de Mitra, la sociabilité a motivé
les enfants à jouer ensemble, à vouloir savoir et faire ce que les
autres savaient et faisaient puis partager leurs propres
connaissances avec les autres. Quand un enfant fait une nouvelle
découverte à propos de quelque chose qui pourrait être fait avec
l'ordinateur, la découverte se répand comme un feu de brousse dans
tout le groupe d'enfants à proximité puis un enfant qui aurait un
ami dans un autre groupe amènerait cette étincelle de nouvelle
connaissance à l'autre groupe permettant à un nouveau feu de
brousse de démarrer et ainsi de suite pour les trois cents enfants
environ qui à des temps différents utiliseront l'ordinateur. Chaque
découverte d'un enfant devient la découverte de tous les enfants du
réseau.
Pourquoi
les leçons des écoles ne propagent pas le même feu que celui que
Mitra a observé dans ses expériences sur l'éducation intrusive
minimum ? Ce n'est pas difficile de penser à de nombreuses
réponses à cette question. Voici quelques-unes qui apparaissent à
l'esprit :
-
Les enfants à l'école ne sont pas libres de poursuivre leurs propres intérêts choisis par eux-même et cela coupe leur enthousiasme.
-
Les enfants à l'école sont évalué de manière constante. Le souci de l'évaluation et de faire plaisir au professeur, ou pour certains enfants, une révolte contre de telles évaluations, repousse et sabote la possibilité de développer un intérêt sincère dans une tâche assignée.
-
Les enfants à l'école ont souvent la démonstration d'une et d'une seule solution à un problème donné tout en leur expliquant que les autres méthodes sont erronées et doivent être évitées, si bien que l'excitation de découvrir de nouvelles façons de faire quelque chose est empêchée.
-
L'isolement des enfants par âge dans les écoles empêche le mélange et la diversité des âges dans des groupes tels que ceux qui se sont rassemblé autour d'un ordinateur extérieur, ce qui permettait à différentes fonctions de l'ordinateur d'être essayées et jouées par différents enfants, et permettre grâce à cette large variété de découverte de se répandre d'un enfant à un autre.
L'apprentissage
est tellement simple et amusant quand il se produit naturellement.
Nous faisons de l'apprentissage quelque chose de difficile et
d'ennuyeux dans nos salles de classe en privant les enfants de
l'opportunité d'utiliser leur moyen d'apprentissage naturel en les
remplaçant pas de la coercition. Si nous nous concentrions sur la
fourniture, à nos enfants, d'environnements et d'outils qui
optimisent leur capacité à s'enseigner à eux-même, dans des
groupes d'âges mélangés, et si nous arrêtions d'essayer de
contrôler l'apprentissage des enfants, la vie serait bien plus
amusante pour chacun d'entre nous et la culture fleurirait bien plus
qu'elle ne le fait maintenant.
---------
Voici
quelques ressources en anglais pour découvrir davantage le travail
de recherche de Sugata Mitra :
Le
site officiel : http://www.hole-in-the-wall.com/
Une
vidéo présentant son travail :
https://www.youtube.com/watch?v=y3jYVe1RGaU
et
http://www.ted.com/talks/sugata_mitra_shows_how_kids_teach_themselves?language=fr
Articles
publiés par Sugata Mitra et ses collègues :
Dangwal, R., Jha, S., & Kapur, P. (2006). Impact of minimally invasive education on children: An Indian perspective. British Journal of Educational Technology, 37, 295-298.
Inamdar, P. (2004). Computer skills development by children using ‘hole in the wall' facilities in rural India. Australasian Journal of Educational Technology, 20, 337-350.
Mitra, S. (2003). Minimally invasive education: A progress report on the "hole-in-the-wall" experiments. British Journal of Educational Technology, 34, 267-371.
Mitra, S. (2004). Hole in the Wall. Dataquest (India), Sept. 23 issue. URLhttp://dqindia.ciol.commakesections.asp/04092301.asp(link is external).
Mitra, S. (2005). Self organizing systems for mass computer literacy: Findings from the ‘hole in the wall' experiments. International Journal of Development Issues, 4, 71-81.
Mitra, S., & Rana, V. (2001). Children and the internet: Experiments with minimally invasive education in India. British Journal of Educational Technology, 32, 221-232.
Dangwal, R., Jha, S., & Kapur, P. (2006). Impact of minimally invasive education on children: An Indian perspective. British Journal of Educational Technology, 37, 295-298.
Inamdar, P. (2004). Computer skills development by children using ‘hole in the wall' facilities in rural India. Australasian Journal of Educational Technology, 20, 337-350.
Mitra, S. (2003). Minimally invasive education: A progress report on the "hole-in-the-wall" experiments. British Journal of Educational Technology, 34, 267-371.
Mitra, S. (2004). Hole in the Wall. Dataquest (India), Sept. 23 issue. URLhttp://dqindia.ciol.commakesections.asp/04092301.asp(link is external).
Mitra, S. (2005). Self organizing systems for mass computer literacy: Findings from the ‘hole in the wall' experiments. International Journal of Development Issues, 4, 71-81.
Mitra, S., & Rana, V. (2001). Children and the internet: Experiments with minimally invasive education in India. British Journal of Educational Technology, 32, 221-232.
Article
publié par Peter Gray le 28 Janvier 2009 et traduit par Michael
Seyne le 22 Mai 2015
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