dimanche 24 mai 2015

Libre d'apprendre BLOG21, Éducation Intrusive Minimum, des leçons venant de l'Inde

Éducation Intrusive Minimum, des leçons venant de l'Inde
Où comment des milliers d'enfants appauvris en Inde sont devenu capables de se servir d'un ordinateur


Il y a plus de dix ans, le 29 Janvier 1999, Sugata Mitra, qui était alors le directeur scientifique du NIIT, une entreprise de technologie d'information dont le siège se trouve à New Delhi a initié un ensemble d'études sur l'apprentissage autodirigé des enfants.


Ce jour, Mitra alluma un ordinateur qu'il avait installé dans un mur extérieur du bâtiment du NIIT, un des murs qui faisaient face à l'un des bidonvilles les plus pauvres de New Delhi et dans une communauté où la plupart des enfants ne vont pas à l'école, sont analphabètes et n'avaient précédemment jamais vu un ordinateur. Il alluma simplement l'ordinateur et le laissa là, en disant à la foule d'enfants qu'ils pouvaient jouer avec, il enregistra ensuite à l'aide d'une caméra toute l'activité qui entoura l'ordinateur.


Des enfants, ayant pour la plupart entre 6 et 13 ans, s'approchèrent immédiatement et commencèrent à explorer cette étrange installation, qui pour eux leur semblait être une sorte de télévision. Ils touchèrent certaines parties et apparemment par accident découvrirent qu'ils pouvaient déplacer un curseur sur l'écran en bougeant leurs doigts le long d'un pavé tactile. Ceci conduisit à une série de découvertes excitantes. Le curseur se transforma en main quand il passait au-dessus certaines parties de l'écran. En tapant (cliquant) sur le pavé tactile alors que le curseur est une main, ils pouvaient changer l'écran. Ils cherchèrent leurs amis avec enthousiasme pour leur montrer cette machine fascinante.


Chaque nouvelle découverte, réalisé par un enfant ou un groupe fut partagé avec les autres. En quelques jours, des douzaines d'enfants surfaient sur Internet, téléchargeaient de la musique et des jeux, dessinaient sur le logiciel Paint et faisaient de nombreuses choses que les enfants font partout avec des ordinateurs lorsqu'ils y ont accès. Par la suite, Mitra et ses collègues répétèrent l'expérience à 26 autres endroits de l'Inde, que ce soit en milieu rural ou en milieu urbain les résultats furent toujours les mêmes. Des découvertes similaires furent faites dans d'autres pays où des ordinateurs extérieurs furent installés, au Cambodge, en Égypte et en Afrique du Sud. Même maintenant, alors que j'écris ces lignes, de nouveaux ordinateurs extérieurs sont installés dans différentes parties appauvries du monde.


À chaque fois qu'un kiosque à ordinateur était installé, des enfants se rassemblaient rapidement, exploraient l'appareil et sans aucun autre aide que celui qu'ils se fournissaient les uns avec les autres, ils découvrirent des manières excitantes de l'utiliser. Les enfants inventèrent des noms pour faire référence à l'ordinateur, à ses parties, les icônes variées qui apparaissent à l'écran, et aux différentes activités qu'ils peuvent accomplir avec l'ordinateur. Par exemple, un groupe (dans leur langue maternelle hindi) se réfèrent au curseur avec « l'aiguille » et les dossiers avec « les placards ». Ceux qui ne connaissaient pas l'anglais ont appris de nombreux mots anglais grâce à leurs interactions avec l'ordinateur et leurs discussions avec d'autres sur celui-ci. Les enfants qui pouvaient lire trouvèrent et téléchargèrent des articles qui les intéressaient dans le langage dans lequel ils étaient lettrés (généralement l'hindi ou le marathi).


Mitra et ses collègues décrivirent la forme d'éducation qu'ils expérimentèrent comme étant une éducation intrusive minimum, une description qui fut empruntée au monde médical de la chirurgie. Il s'agit d'une éducation avec une quantité minimale d'intrusion dans la vie des enfants. Les expériences démontrent que les enfants apprennent à une allure incroyablement rapide sans enseignants adultes. Tout ce que les éducateurs ont eu à faire était de fournir l'outil, l'ordinateur. La curiosité, l'esprit ludique et la sociabilité de l'enfant se sont ensuite déployées naturellement.


Mitra et son équipe estiment que pour chaque ordinateur extérieur qu'ils ont installé, une moyenne de 300 enfants devint capable d'utiliser un ordinateur dans les trois mois qui ont suivi la mise en disponibilité de l'ordinateur. Sur une période de trois mois et pour 100 ordinateurs, c'est environ 30,000 enfants capables d'utiliser un ordinateur. Ce que Mitra veut dire par « capable d'utiliser un ordinateur » il dit que c'est d'être en « capacité de faire la quasi-totalité de ces tâches » :


  • Utiliser confortablement toutes les fonctions opérationnelles de l'interface Windows, cliquer, déplacer, ouvrir, fermer, redimensionner, réduire, agrandir, naviguer dans les menus, ainsi de suite.
  • Dessiner et peindre avec un ordinateur.
  • Sauvegarder et charger des fichiers.
  • Jouer à des jeux.
  • Lancer des programmes éducatifs ou d'autres logiciels.
  • Naviguer et explorer Internet si une connexion est disponible.
  • Configurer un compte et envoyer/recevoir des emails.
  • Discuter en ligne.
  • Réaliser de simples dépannages. (par exemple si l'enceinte et le son ne fonctionnent pas)
  • Télécharger et jouer avec les médias en streaming.
  • Télécharger des jeux.


Sur la base de plusieurs tests donnés à des enfants choisis aléatoirement qui utilisaient des ordinateurs extérieurs, Mitra a conclu que les capacités des enfants à apprendre dans ce cadre « semblent être indépendantes de leur milieu éducatif, de leur niveau d'alphabétisation en anglais ou de n'importe quel autre niveau linguistique, sociale ou économique, de leur appartenance ethnique et de leur place d'origine (ville ou village), de leur genre, de leur base génétique, de leur situation géographique et de leur intelligence. »


Les observations de Mitra souligne d'une belle façon de nombreuses idées que j'ai discuté dans ce blog. Mon thème principal est que les enfants s'éduquent par eux-même. Mitra a observé que les enfants s'enseignent à eux-même l'utilisation de l'ordinateur, et à ensuite utilisé l'ordinateur pour leur enseigner bien plus. Ils ont fais cela parce qu'ils ont en eux-même un jeu d'instincts puissant pour l'auto-éducation, les instincts de curiosité, d'esprit ludique et de sociabilité.


La curiosité : Tous les mammifères sont curieux, mais les humains le sont encore davantage et particulièrement dans l'enfance. Comme nous sommes des animaux qui utilisent des outils, notre curiosité nous conduit à explorer de nouveaux objets avec nos sens et aussi à les explorer avec nos muscles. Quand nous voyons quelque chose de nouveau, nous voulons savoir ce que l'on peut faire avec. Les enfants à partir de la naissance explorent les nouveaux objets en les manipulant, en les poussant, en les secouant, en les écrasant, en les faisant tomber, en les lançant et les faisant rebondir pour voir quel genre d'effet intéressant cela peut être produit. Dans les expériences de Mitra, la curiosité amène les enfants vers l'ordinateur extérieur et les motive à le manipuler de manières différentes pour en apprendre ses propriétés. Les manipulations mènent à des découvertes excitantes qui conduisent à leur tour à de nouvelles questions et à de nouvelles découvertes. Par exemple, la découverte que cliquer sur une icône entraîne un changement sur l'écran, amène les enfants à cliquer sur tous les icônes disponibles pour simplement voir ce qu'il se passe.


L'esprit ludique : Tous les jeunes mammifères ont un esprit ludique, mais les enfants humains sont ceux qui l'ont le plus. La fonction évolutive première de l'esprit joueur chez l'enfant comme chez les jeunes des autres mammifères est le développement des compétences (article). Le jeu implique des actions répétitives mais variées qui ont pour objectif de produire les effets que le joueur a à l'esprit. Les actions à la fois physiques et mentales sont accomplies pour le simple plaisir de les accomplir, et les aptitudes deviennent des conséquences de ces actions. Dans les expériences de Mitra, l'esprit ludique mène les enfants à devenir hautement compétent à l'utilisation des fonctions de l'ordinateur. Par exemple, les enfants qui ont déjà exploré le programme Paint et savent comment l'utiliser étaient motivé à jouer avec ce programme, qui est de dessiner de nombreuses images. Par un tel jeu, ces enfants deviennent compétents au dessin informatique. Par le jeu, les enfants consolident leurs connaissances déjà acquises et développent des compétences en utilisant cette connaissance. Souvent le jeu mène de manière par inadvertance à de nouvelles découvertes, qui renouvellent et mène à de nouveaux domaines d'exploration. Le jeu et l'exploration sont inséparablement mélangés.


La sociabilité : Nous ne sommes pas seulement un animal merveilleusement curieux et ludique, mais nous sommes aussi un animal merveilleusement sociable. Notre sociabilité est telle que nous voulons savoir ce que les autres personnes pensent et nous voulons partager nos histoires et nos connaissances avec les autres. Ceci, peut-être d'ailleurs bien plus que tout le reste est ce qui nous distingue des autres mammifères. Par le langage et notre désir de communiquer avec l'autre et de le comprendre nos esprits sont reliés dans un vaste réseau avec les esprits des autres personnes. Aucun autre animal n'a une telle capacité et pulsion pour la communication et c'est pourquoi aucun autre animal n'a développé la culture que nous avons. Dans les expériences de Mitra, la sociabilité a motivé les enfants à jouer ensemble, à vouloir savoir et faire ce que les autres savaient et faisaient puis partager leurs propres connaissances avec les autres. Quand un enfant fait une nouvelle découverte à propos de quelque chose qui pourrait être fait avec l'ordinateur, la découverte se répand comme un feu de brousse dans tout le groupe d'enfants à proximité puis un enfant qui aurait un ami dans un autre groupe amènerait cette étincelle de nouvelle connaissance à l'autre groupe permettant à un nouveau feu de brousse de démarrer et ainsi de suite pour les trois cents enfants environ qui à des temps différents utiliseront l'ordinateur. Chaque découverte d'un enfant devient la découverte de tous les enfants du réseau.


Pourquoi les leçons des écoles ne propagent pas le même feu que celui que Mitra a observé dans ses expériences sur l'éducation intrusive minimum ? Ce n'est pas difficile de penser à de nombreuses réponses à cette question. Voici quelques-unes qui apparaissent à l'esprit :

  • Les enfants à l'école ne sont pas libres de poursuivre leurs propres intérêts choisis par eux-même et cela coupe leur enthousiasme.
  • Les enfants à l'école sont évalué de manière constante. Le souci de l'évaluation et de faire plaisir au professeur, ou pour certains enfants, une révolte contre de telles évaluations, repousse et sabote la possibilité de développer un intérêt sincère dans une tâche assignée.
  • Les enfants à l'école ont souvent la démonstration d'une et d'une seule solution à un problème donné tout en leur expliquant que les autres méthodes sont erronées et doivent être évitées, si bien que l'excitation de découvrir de nouvelles façons de faire quelque chose est empêchée.
  • L'isolement des enfants par âge dans les écoles empêche le mélange et la diversité des âges dans des groupes tels que ceux qui se sont rassemblé autour d'un ordinateur extérieur, ce qui permettait à différentes fonctions de l'ordinateur d'être essayées et jouées par différents enfants, et permettre grâce à cette large variété de découverte de se répandre d'un enfant à un autre.


L'apprentissage est tellement simple et amusant quand il se produit naturellement. Nous faisons de l'apprentissage quelque chose de difficile et d'ennuyeux dans nos salles de classe en privant les enfants de l'opportunité d'utiliser leur moyen d'apprentissage naturel en les remplaçant pas de la coercition. Si nous nous concentrions sur la fourniture, à nos enfants, d'environnements et d'outils qui optimisent leur capacité à s'enseigner à eux-même, dans des groupes d'âges mélangés, et si nous arrêtions d'essayer de contrôler l'apprentissage des enfants, la vie serait bien plus amusante pour chacun d'entre nous et la culture fleurirait bien plus qu'elle ne le fait maintenant.

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Voici quelques ressources en anglais pour découvrir davantage le travail de recherche de Sugata Mitra :
Articles publiés par Sugata Mitra et ses collègues :
Dangwal, R., Jha, S., & Kapur, P. (2006). Impact of minimally invasive education on children: An Indian perspective. British Journal of Educational Technology, 37, 295-298.
Inamdar, P. (2004). Computer skills development by children using ‘hole in the wall' facilities in rural India. Australasian Journal of Educational Technology, 20, 337-350.
Mitra, S. (2003). Minimally invasive education: A progress report on the "hole-in-the-wall" experiments. British Journal of Educational Technology, 34, 267-371.
Mitra, S. (2004). Hole in the Wall. Dataquest (India), Sept. 23 issue. URL
http://dqindia.ciol.commakesections.asp/04092301.asp(link is external).
Mitra, S. (2005). Self organizing systems for mass computer literacy: Findings from the ‘hole in the wall' experiments. International Journal of Development Issues, 4, 71-81.
Mitra, S., & Rana, V. (2001). Children and the internet: Experiments with minimally invasive education in India. British Journal of Educational Technology, 32, 221-232.

Article publié par Peter Gray le 28 Janvier 2009 et traduit par Michael Seyne le 22 Mai 2015

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