mardi 30 juin 2015

Libre d'apprendre BLOG22, Les erreurs de Rousseau : Elles persistent dans les théories éducatives actuelles.

Les erreurs de Rousseau : Elles persistent dans les théories éducatives actuelles.
Pauvre Émile !

Jean-Jacques Rousseau est connu pour sa théorie de l'éducation « naturelle ». Il est souvent cité dans des textes sur l'éducation comme étant l'initiateur des moyens d'éducation naturelle centré sur l'enfant. Ceux d'entre vous qui ont été des lecteurs réguliers de mon blog savent que j'écris moi-même sur les moyens naturels d'éducation de l'enfant. Alors vous pourriez conclure que je suis inspiré par Rousseau. Et bien, je suis inspiré oui pour vous montrer à quel point il se trompe.

Le seul travail de Rousseau sur la théorie éducative est son livre Émile, publié pour la première fois en 1760 qui décrit l'éducation d'un garçon fictionnel dont le nom donne son titre au livre. Le livre est à moitié un roman et à moitié un traité philosophique sur la bonté naturelle des êtres humains et comment préserver cette bonté par une éducation qui ne la corrompt pas.

Pauvre Émile ! Dans le travail de Rousseau, il est soumis à la forme la plus extrême que l'on puisse imaginer de ce qu'aujourd'hui nous pourrions appeler l'approche centrée sur l'enfant ou encore l'éducation nouvelle. Émile a passé les 25 premières années de sa vie en compagnie de son tuteur, auquel il se réfère comme étant son maître et que Rousseau représente à la première personne. Le maître est extraordinairement intelligent, talentueux et est un homme dévoué à étudier continuellement Émile en essayant de connaître chacune de ses motivations et désirs et en utilisant cette connaissance pour fournir au garçon les meilleures expériences qui semblent nécessaires pour transmettre les leçons qui sont considérés comme appropriés par le maître. Le rapport entre enseignant et enseigné est d'un pour un.

Le maître contrôle le garçon en permanence, non pas à travers des ordres mais par ce que deux siècles plus tard les psychologues du comportement ont appelé « le conditionnement du comportement ». Il manipule l'environnement d'Émile d'une telle manière que le garçon choisit toujours de faire exactement ce que le maître pense être bon pour lui. De manière à ce que cela soit possible, Émile doit être isolé ses 15 premières années de toutes forces sociales, ce qui inclut les autres enfants. Le maître est son seul compagnon. Le garçon doit aussi être isolé de toute la littérature à l'exception de celle choisi par le maître. En effet, Rousseau considère qu'Émile ne devrait lire qu'un seul livre avant l'âge de ses 15 ans, Robinson Crusoé. Selon Rousseau, ce livre seul suffit à fournir la bonne histoire pour motiver les pensées, les jeux et les fantaisies du garçon dans une direction saine.

Émile joue et explore (seulement par lui-même apparemment), et il croit agir librement mais en fait joue et explore avec seulement les matériaux, les moyens d'apprentissage et les leçons que le maître a choisies pour lui. Loin de faire confiance dans les penchants naturels de l'enfant, la vision de Rousseau est celle où chaque décision de l'enfant, chaque leçon apprise est astucieusement contrôlée par le maître brillant, qui consacre volontiers son savoir, son temps complet de la quasi-totalité de sa vie adulte à l'éducation d'un seul garçon.

Il est tentant de penser que Rousseau a écrit ce livre comme une blague. J'aurais aimé croire qu'il s'agissait d'un Rousseau farceur qui montrait caricaturait le ridicule des autres théoriciens de l'éducation en exagérant volontairement leurs idées. Mais il semble que ce ne soit pas le cas, il faisait référence à Émile comme étant son travail philosophique le plus important et le plus sérieux. Il reconnaissait bien sûr l'impraticabilité du plan éducatif qu'il proposait mais il pensait que si un tel programme était appliqué il serait l'idéal. Les milliers de professeurs de l'éducation qui se sont référé à ce livre ne l'ont pas non plus considéré comme une blague. Qu'ils soient d'accord ou en désaccord avec celui-ci, ils l'ont traité sérieusement comme étant à la fondation des théories de l'éducation progressive et centrée sur l'enfant.

Les lecteurs réguliers de ce blog savent que ma propre vue sur l'éducation a été formé en partie par mes observations de l'école sudbury valley et en partie par mes études sur la façon dont les enfants dans les groupes de chasseurs-cueilleurs se sont éduqué. Vous pouvez trouver mes textes sur ces sujets sur ce blog. Bien que je sois d'accord avec Rousseau sur le fait que le jeu et l'exploration sont les clés de l'apprentissage, je suis en désaccord avec lui sur pratiquement tout le reste.

Laissez-moi faire ici une liste de ce que je vois comme étant les principales erreurs de la théorie éducative de Rousseau. Ces erreurs sont importantes, non pas dans la critique de Rousseau lui-même, mais de la direction encore bien vivante aujourd'hui que prend une partie des théories de l'éducation.

1. L'erreur de la vulnérabilité de l'enfant : L'idée que l'enfant doit être protégé de l'apprentissage des mauvaises choses.

Tout le long du livre, Rousseau est davantage soucieux de protéger Émile d'apprendre les mauvaises leçons qu'il ne l'est par son enseignement des bonnes leçons. Ce souci commence dès la première ligne du livre : « Tout est bien sortant des mains de l’Auteur des choses (Dieu), tout dégénère entre les mains de l’homme. ». Pour Rousseau, la nature est bonne et la société est mauvaise, il en conclut donc que si Émile doit se développer jusqu'à devenir une bonne personne il doit être exposé à la nature et complètement isolé de la société, du moins le temps qu'il devienne adulte et qu'il acquière la force de caractère pour résister aux maux de la société.

Aujourd'hui nous entendons les mêmes idées s'exprimer de manière différente par ceux qui souhaitent contrôler ce que la télé doit montrer et ce que les enfants doivent regarder, les jeux auxquels ils doivent ou ne doivent pas jouer, les idées qu'ils doivent entendre et ce qu'ils doivent associer avec chaque idée. Nous protégeons les enfants de toute forme d'interaction avec les autres qui pourraient, pensons-nous, avoir des influences corruptrices.

Mon point de vue (cohérent avec la philosophie et les pratiques de l'école Sudbury Valley) est que les êtres humains ne sont fondamentalement ni bons ni mauvais, pas plus qu'un jeune enfant est nécessairement plus innocent ou pur que ne l'est un enfant plus âgé ou un adulte. Nous sommes par contre tous fondamentalement des êtres sociaux et priver un enfant d'une grande variété d'interactions sociales c'est le priver de ce qui est le plus essentiel au développement normal d'un être humain. L'enfant ne fait pas qu'imiter aveuglément ce qu'il voit chez les autres. Ils pensent à ce qu'il voit. Les enfants font attention non pas seulement aux actions des autres, mais aussi aux conséquences de ces actions. Plus les enfants peuvent explorer les réalités du monde, plus ils deviennent compétents pour faire face à ces réalités. Pour décider ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, ils doivent pouvoir avoir un large échantillon de modèles qui se comportent différemment les uns des autres. Pour pouvoir former des opinions utiles, ils doivent entendre divers côtés et décider par eux-même où se trouvent les contradictions. Pour se préparer au monde réel, l'enfant a besoin de grandir dans ce monde, de faire l'expérience aussi bien de ses verrues que de ses roses.

Là où la société est corrompue, la meilleure chose que les adultes peuvent faire pour le bien-être à long terme de l'enfant est de s'en prendre directement à la source de la corruption, non pas la leur cacher. Dans une démocratie, nous luttons continuellement à améliorer la société par des moyens dans lesquels chaque personne a une voix égale. Par ces moyens nous luttons pour créer des règles et des procédures qui sont conçues pour réduire les conflits entre les intérêts de chaque personne individuellement et les intérêts du groupe collectivement, et de cette façon nous luttons pour réduire la corruption. L'école de Sudbury Valley est basé sur une communauté démocratique dans laquelle chaque enfant à partir de l'âge de quatre ans jusqu'à l'adolescence fait l'expérience directe des droits et des responsabilités accordées par la démocratie.

2. L'erreur de étapes du développement : L'idée que l'enfant peut apprendre seulement certaines choses à certains âges.

Rousseau divise son traité en plusieurs « livres », qui correspondent avec ce qu'il voit comme étant étapes du développement séparé les unes des autres. Chaque étape représente une métamorphose d'une façon ou d'une autre. Ce qui est remarquable c'est que Rousseau exprime avec certitude l'opinion qu'un enfant est incapable de raisonner de manière logique avant qu'il ait l'âge de 12 ans et cette même vue est avancée de manière remarquable deux siècles plus tard par le fameux psychologue du développement Jean Piaget. Selon Rousseau, il n'y aurait aucun sens à essayer de raisonner avec un jeune enfant puisque l'enfant n'a pas la capacité à la raison. L'enfant peut apprendre les aptitudes physiques et peut apprendre par l'expérience des conséquences directes de ses actions, mais ne peut pas apprendre quoi que ce soit d'utile par les moyens du langage symbolique.

Cette hypothèse, qui est contredite par l'expérience de chaque enfant et par chaque personne qui a été un enfant, fournit la raison même de l'échec à écouter sérieusement ce que l'enfant a à dire jusqu'à aujourd'hui. Cette hypothèse est démontrée comme étant fausse par les personnes qui se souviennent des pensées et des raisonnements de leurs propres enfances. Bien sûr les procédures de l'école démocratique sudbury valley ont été utilisées avec succès pendant 40 ans en étant fondé sur l'hypothèse que l'enfant peut raisonner.

3. L'erreur de l'enfant seul dans la nature : L'idée que l'enfant apprend principalement ou entièrement en agissant avec les objets naturels de leur environnement.

La déduction logique qui suit l'idée que l'enfant de moins de douze ans ne peut pas raisonner est qu'ils ne peuvent rien apprendre ou en tout cas rien de bien important par les moyens verbaux. Ils apprennent à la place, à partir de leurs expériences sensorielles directes et par la manipulation d'objets du monde physique. Rousseau a déclaré qu'il croyait cela, ainsi que Piaget. Mais l'expérience quotidienne prouve clairement que cette vue est fausse. Quand l'enfant veut savoir quelque chose, leur chemin le plus fréquent pour trouver la réponse est de demander à quelqu'un qui pourrait le savoir. Leurs réactions montrent que très souvent ils comprennent ce qu'ils entendent. Ils posent les questions qui sont appropriées et font des objections raisonnables (parfois d'un raisonnable énervant) à ce qu'ils entendent et se comportent par la suite d'une façon qui montre qu'ils ont compris. Les enfants apprennent aussi par des moyens non sociaux, par l'expérience directe avec les objets de leur environnement, et c'est important de le noter, mais ils apprennent davantage par l'usage du langage car en effet, chez les êtres humains, d'autres personnes qui peuvent parler et comprendre ont toujours été un ingrédient essentiel à la nature de l'environnement. Penser que les jeunes enfants ne peuvent pas apprendre à partir de l'aspect social de leur environnement naturel est absurde.

4. L'erreur de la contrôlabilité : L'idée qu'il est possible de connaître tellement bien un enfant que l'on peut être capable de contrôler par des moyens subtils ce que l'enfant apprend.

L'erreur la plus sérieuse de Rousseau est l'idée que les comportements humains sont suffisamment prévisible et contrôlable pour qu'un enseignant puisse guider l'étudiant dans la direction qu'il souhaite comme l'a fait le maître avec Émile. Rousseau a au moins accepté d'admettre qu'un tel enseignant aurait à être un superhéros, une personne avec des pouvoirs d'observation et de raisonnement extraordinaire, qui consacrerait la plus grande partie de sa vie à l'éducation d'un seul enfant. Certaines philosophies de l'éducation semblent attendre la même chose des vrais enseignants, qui ont des vies réelles à côté et qui ont bien plus qu'un seul élève à s'occuper.

Le débat courant entre les traditionalistes et les progressistes dans l'éducation concerne principalement les moyens de contrôle. Des deux côtés ils sont d'accord pour dire que le travail de l'éducateur est de s'assurer que l'enfant apprend un programme particulier, mais ils divergent sur les moyens à prendre pour atteindre cet objectif. Les traditionalistes croient en l'approche directe, vous dites aux étudiants ce qu'ils doivent apprendre et vous utilisez une méthode directe et des moyens de pouvoirs ouvertement autoritaires, avec un grand nombre d'exercices pour essayer de leur faire apprendre, vous les testez et évaluez sur ces savoirs et ensuite recommencez tout le processus une nouvelle fois s'ils n'ont pas appris la première fois. Les progressistes croient dans l'approche indirecte, vous savez ce que l'enfant doit apprendre et vous avez l'impression qu'il s'agit de votre responsabilité de leur faire apprendre, mais à un degré ou il est possible de le faire par des moyens qui n'impliquent pas un pouvoir autoritaire trop visible. Vous essayez de le faire en utilisant les moyens d'activités qui font appel à l'apprentissage naturel de l'enfant, ce qui inclut le jeu et l'exploration et cela en guidant ces activités de manière subtile pour que l'enfant puisse « découvrir » de lui-même les bonnes réponses et pas les mauvaises. Cela est bien sûr la méthode de Rousseau. Dans ce débat il est pour moi difficile de préférer l'un ou l'autre, je ne suis d'accord avec aucun.

L'erreur fondamentale de Rousseau et de pratiquement tous les éducateurs modernes est la croyance que le secret de l'éducation réside en les capacités de l'enseignant. Ce n'est pas le cas, il réside en les capacités de l'enfant. Les enfants s'éduquent par eux-mêmes. La grande compréhension des fondateurs de l'école Sudbury Valley est une compréhension qui existe depuis des millénaires par les chasseurs-cueilleurs, il s'agit qu'il n'est pas nécessaire d'avoir un programme. Vous n'avez pas besoin de prendre la responsabilité de l'apprentissage de l'enfant. Vous n'avez pas besoin d'utiliser un pouvoir autoritaire ou stratégique pour faire apprendre l'enfant. Tout ce que vous avez à faire est de fournir un environnement dans lequel :

a) L'enfant peut explorer, jouer, socialiser selon le contenu de leur coeur.
b) L'enfant est libéré des formes d'agressivité et d'autre formes d'intimidation.
c) L'enfant peut interagir librement avec d'autres personnes d'âges différents.
d) L'enfant a accès à l'apprentissage des outils valorisés par la culture.
e) L'enfant peut faire suffisamment l'expérience directe de la culture dans laquelle il grandit afin de lui permettre de savoir ce qu'il a besoin de savoir pour se débrouiller au sein de cette culture.

Contrairement à la fantaisie de Rousseau, l'école de Sudbury Valley n'est pas une chimère. Elle a fonctionné avec succès pendant près de 40 ans à un coût par étudiant bien inférieur aux écoles publiques locales et avec beaucoup moins de conflits et plus de joie pour tous ceux qui y sont impliqués. Elle a des centaines de diplômés réussissant dans tous les chemins de la vie. Il est vraiment temps que les éducateurs du monde commencent à y jeter sérieusement un coup d'oeil.

Publié par Peter Gray le 12 Février 2009 et traduit par Michaël le 30 Juin 2015

jeudi 4 juin 2015

LIVRE00, Peter Gray, Libre d'apprendre, Prologue

Libre d'apprendre

Pourquoi libérer les instincts pour le jeu rendra nos enfants plus heureux, plus autonomes et de meilleurs étudiants de la vie

Peter Gray
Prologue

  • Ce livre est consacré à la nature humaine de l'éducation.
  • Les enfants viennent au monde avec des instincts ludiques, un curiosité innée et une pulsion énorme pour explorer et absorber leur environnement.
  • Ils sont programmés génétiquement avec d'extraordinaires capacités d'apprentissage, autant physiquement (marcher, courir, sauter) qu'intellectuellement (communication).
  • Ils apprennent leur langue maternelle et leur culture spontanément sans aucune instruction pour pouvoir s'affirmer en son sein.
  • Cette curiosité et capacité d'apprentissage naturelle s'éteint chez l'enfant à cause d'une scolarisation coercitive qui lui est imposé.
  • La scolarisation crée une amalgame entre l'éducation et le travail dans l'esprit.
  • Grâce à l'étude de travaux de psychologie et d'anthropologie, ce livre observe :
  • Comment les enfants sont éduqués naturellement en dehors du système de scolarisation.
  • La façon dont la curiosité et l'esprit de jeu chez l'enfant supporte son apprentissage.
  • En quoi les enfants de notre culture sont proche des enfants chasseurs-cueilleurs.
  • Comment créer des environnements qui maximise l'auto-apprentissage de l'enfant.


« Allez au diable ! »

Les mots me frappèrent profondément. J'avais déjà eu l'occasion de me faire insulter avant, mais jamais aussi sérieusement. Comme par exemple avec un collègue frustré par mon obstination à refuser de reconnaître une vérité indéniable ou encore avec un ami qui réagit à une chose idiote que je peux dire. Mais dans ce cas précis « Allez au diable ! » était juste un moyen de se libérer de la tension et de terminer une dispute qui ne menait nulle part.

Cette fois c'était sérieux. Cette fois, je sentis que j'allais vraiment aller en enfer. Non pas dans ce lieu mythologique appelé l'enfer où il y a des flammes de tous les côtés et dont je ne crois pas à l'existence. Mais dans cet enfer qui peut accompagner la vie dans ce monde quand vous êtes écrasé par la croyance d'avoir trahi quelqu'un que vous aimez, qui a besoin de vous et qui dépend de vous.

Les mots ont été prononcé par mon fils de neuf ans, Scott, dans le bureau du directeur de l'école élémentaire publique. Ils n'étaient pas seulement adressés à moi mais aux sept adultes grands et malins qui étaient alignés face à lui. Le directeur, deux de ses enseignants de classe, le conseiller de vie scolaire, une psychologue de l'enfance travaillant pour le système éducatif, sa mère (mon ex-femme) et moi-même.

Nous étions présent, unis face à lui, pour dire à Scott dans des termes très clairs qu'il devait être présent à l'école et y faire tout ce que ses enseignants lui demandaient de faire. Nous avons tous déclaré sévèrement notre part et Scott en nous regardant directement à nous tous, il nous a dit ces mots qui me stoppèrent net sur ma lancée. Je commençais immédiatement à pleurer. Je savais qu'à ce moment précis je devais être du côté de Scott et non contre lui. Je regardais à travers mes larmes ma femme, et je vis qu'elle aussi était en train de pleurer, et à travers ses larmes je vis qu'elle pensait et sentait exactement comme moi.

Nous savions tous les deux alors que nous devions faire ce que Scott souhaitait que nous fassions depuis longtemps, le retirer non seulement de cette école mais aussi de tout ce qui ressemble de près ou de loin à cette école. Pour lui, l'école était une prison et il n'avait rien fait qui ne mérite de l'emprisonnement. La rencontre dans le bureau du directeur fut le point culminant d'années de rencontres et de réunions à l'école durant lesquelles ma femme et moi entendions les derniers récits du mauvais comportement de notre fils. Ses comportements étaient particulièrement perturbants pour le personnel de l'école parce qu'il ne s'agissait pas des polissonneries habituelles que les enseignants s'attendent de la part de garçons exubérants confinés contre leur gré.

Il s'agissait plus d'une forme de rébellion planifiée. Il se comportait délibérément et systématiquement d'une manière contraire aux directions des enseignants. Quand l'enseignant chargeait les élèves de résoudre des problèmes de calculs d'une certaine manière, il inventait une manière différente de les résoudre.Quand il en arrivait à apprendre la ponctuation et les majuscules, il écrivait comme le poète e. e. cummings, en mettant des majuscules et des ponctuations partout où il voulait ou alors n'en utilisait aucune. Quand une tâche semblait n'avoir aucun sens pour lui, il le disait et refusait de la réaliser. Parfois, et cela devenait de plus en plus fréquent, il quittait la salle de classe sans permission et s'il n'était pas maintenu de force, rentrait à la maison.

Nous avons finalement trouvé une école qui fonctionnait pour Scott. Une école qui est loin d'être « l'école » que vous pouvez imaginer. Un peu plus tard je vous en dirai un peu plus à son propos ainsi que le mouvement éducatif international qui en a été inspiré. Mais ce livre n'est pas consacré à une certaine forme d'école. Il est consacré à la nature humaine de l'éducation.

Les enfants viennent au monde avec un désir ardent d'apprendre et ils sont génétiquement programmés avec d'extraordinaires capacités d'apprentissage. Ils sont de véritables petites machines à apprendre. Durant leurs quatre premières années environ, ils absorbent une quantité abyssale d'informations et de compétences sans aucune instruction. Ils apprennent à marcher, à courir, à sauter et à escalader. Ils apprennent à comprendre et à parler la langue de leur culture dans laquelle ils sont nés et avec ce lequel ils apprennent à s'affirmer en discutant, en s'amusant, en s'ennuyant, en se liant d'amitié et en posant des questions.

Ils acquièrent d'une quantité incroyable de connaissances à propos du monde physique et social qui les entoure. Cette exploration est motivé par leurs instincts et leurs pulsions innées, leur esprit ludique et leur curiosité naturelle. La nature n'éteint pas ce désir et cette capacité énorme à apprendre quand l'enfant à l'âge de cinq ou six ans. C'est nous-même qui l'éteignons avec notre système de scolarisation coercitif. La plus grande et persistante leçon de l'école est que l'apprentissage est du travail et qu'il doit donc être évité quand cela est possible.

Les mots de mon fils dans le bureau du directeur ont changé la direction de ma vie professionnelle ainsi que de ma vie personnelle. Je suis et j'étais à cette époque, un professeur en psychobiologie, un chercheur intéressé par les fondations biologiques des pulsions et émotions des mammifères. J'ai étudié le rôle de certaines hormones qui modélisé la peur chez des rats et des souris, et je venais de commencer récemment à regarder dans les mécanismes dans le cerveau des rats du mécanisme du comportement maternel.

Ce jour, dans le bureau du directeur, déclencha une série d'évènements qui changèrent progressivement le centre de mes recherches. Je commençais à étudier l'éducation à partir d'un point de vue biologique. En premier lieu, mes études étaient motivées principalement par soucis pour mon fils. Je voulais être sûr que nous ne faisions pas d'erreur en lui permettant de suivre son propre chemin éducatif plutôt qu'un chemin dicté par des professionnels. Mais progressivement, en même temps que je fus convaincu que l'éducation autodirigée de Scott se déroulait à merveille, mon intérêt tourna vers l'enfant en général et les causes biologiques de l'éducation humaine.

Qu'est-ce qui permet à notre espèce d'être un animal culturel ? En d'autres mots, quels aspects de la nature humaine permettent à chaque génération d'êtres humains, où qu'il se trouve, d'acquérir et de construire des compétences, des connaissances, des croyances, des théories et des valeurs à partir de la génération précédente ? Cette question m'a amené à examiner l'éducation dans des environnements extérieurs au système de scolarisation standardisé comme par exemple à la (non) école remarquable où mon fils à été présent.

Plus tard, j'ai observé le mouvement croissant de déscolarisation dans le monde entier (unschooling movement) pour comprendre comment les enfants de ces familles étaient éduqués. J'ai lu des travaux d'anthropologie et rencontré des anthropologues pour apprendre tout ce que je pouvais sur la vie et l'apprentissage des enfants dans les cultures de chasseurs-cueilleurs. J'ai étudié la totalité des travaux de recherche en psychologie et anthropologie sur le jeu des enfants et avec mes étudiants, j'ai dirigé de nouvelles recherches dans le but d'avoir une plus grande compréhension de la façon dont l'enfant apprend par le jeu. De tels travaux m'ont mené à comprendre comment les fortes pulsions des enfants pour jouer et explorer servent en réalité les fonctions de l'éducation, non pas seulement dans des cultures de chasseurs-cueilleurs mais aussi dans notre culture. Cela m'a amené à des compréhensions concernant les conditions environnementales qui optimisent les capacités des enfants à s'éduquer par eux-même à travers leurs propres moyens ludiques.


Tout cela m'a conduit à voir, si nous en avions la volonté, comment nous pourrions libérer les enfants d'une scolarisation coercitive et le fournir des centres de ressources pour l'apprentissage qui maximiseraient leurs habiletés à s'éduquer par eux-même sans les dépriver de leurs droits à une enfance joyeuse. Tous ces sujets sont contenus dans ce livre.