jeudi 4 juin 2015

LIVRE00, Peter Gray, Libre d'apprendre, Prologue

Libre d'apprendre

Pourquoi libérer les instincts pour le jeu rendra nos enfants plus heureux, plus autonomes et de meilleurs étudiants de la vie

Peter Gray
Prologue

  • Ce livre est consacré à la nature humaine de l'éducation.
  • Les enfants viennent au monde avec des instincts ludiques, un curiosité innée et une pulsion énorme pour explorer et absorber leur environnement.
  • Ils sont programmés génétiquement avec d'extraordinaires capacités d'apprentissage, autant physiquement (marcher, courir, sauter) qu'intellectuellement (communication).
  • Ils apprennent leur langue maternelle et leur culture spontanément sans aucune instruction pour pouvoir s'affirmer en son sein.
  • Cette curiosité et capacité d'apprentissage naturelle s'éteint chez l'enfant à cause d'une scolarisation coercitive qui lui est imposé.
  • La scolarisation crée une amalgame entre l'éducation et le travail dans l'esprit.
  • Grâce à l'étude de travaux de psychologie et d'anthropologie, ce livre observe :
  • Comment les enfants sont éduqués naturellement en dehors du système de scolarisation.
  • La façon dont la curiosité et l'esprit de jeu chez l'enfant supporte son apprentissage.
  • En quoi les enfants de notre culture sont proche des enfants chasseurs-cueilleurs.
  • Comment créer des environnements qui maximise l'auto-apprentissage de l'enfant.


« Allez au diable ! »

Les mots me frappèrent profondément. J'avais déjà eu l'occasion de me faire insulter avant, mais jamais aussi sérieusement. Comme par exemple avec un collègue frustré par mon obstination à refuser de reconnaître une vérité indéniable ou encore avec un ami qui réagit à une chose idiote que je peux dire. Mais dans ce cas précis « Allez au diable ! » était juste un moyen de se libérer de la tension et de terminer une dispute qui ne menait nulle part.

Cette fois c'était sérieux. Cette fois, je sentis que j'allais vraiment aller en enfer. Non pas dans ce lieu mythologique appelé l'enfer où il y a des flammes de tous les côtés et dont je ne crois pas à l'existence. Mais dans cet enfer qui peut accompagner la vie dans ce monde quand vous êtes écrasé par la croyance d'avoir trahi quelqu'un que vous aimez, qui a besoin de vous et qui dépend de vous.

Les mots ont été prononcé par mon fils de neuf ans, Scott, dans le bureau du directeur de l'école élémentaire publique. Ils n'étaient pas seulement adressés à moi mais aux sept adultes grands et malins qui étaient alignés face à lui. Le directeur, deux de ses enseignants de classe, le conseiller de vie scolaire, une psychologue de l'enfance travaillant pour le système éducatif, sa mère (mon ex-femme) et moi-même.

Nous étions présent, unis face à lui, pour dire à Scott dans des termes très clairs qu'il devait être présent à l'école et y faire tout ce que ses enseignants lui demandaient de faire. Nous avons tous déclaré sévèrement notre part et Scott en nous regardant directement à nous tous, il nous a dit ces mots qui me stoppèrent net sur ma lancée. Je commençais immédiatement à pleurer. Je savais qu'à ce moment précis je devais être du côté de Scott et non contre lui. Je regardais à travers mes larmes ma femme, et je vis qu'elle aussi était en train de pleurer, et à travers ses larmes je vis qu'elle pensait et sentait exactement comme moi.

Nous savions tous les deux alors que nous devions faire ce que Scott souhaitait que nous fassions depuis longtemps, le retirer non seulement de cette école mais aussi de tout ce qui ressemble de près ou de loin à cette école. Pour lui, l'école était une prison et il n'avait rien fait qui ne mérite de l'emprisonnement. La rencontre dans le bureau du directeur fut le point culminant d'années de rencontres et de réunions à l'école durant lesquelles ma femme et moi entendions les derniers récits du mauvais comportement de notre fils. Ses comportements étaient particulièrement perturbants pour le personnel de l'école parce qu'il ne s'agissait pas des polissonneries habituelles que les enseignants s'attendent de la part de garçons exubérants confinés contre leur gré.

Il s'agissait plus d'une forme de rébellion planifiée. Il se comportait délibérément et systématiquement d'une manière contraire aux directions des enseignants. Quand l'enseignant chargeait les élèves de résoudre des problèmes de calculs d'une certaine manière, il inventait une manière différente de les résoudre.Quand il en arrivait à apprendre la ponctuation et les majuscules, il écrivait comme le poète e. e. cummings, en mettant des majuscules et des ponctuations partout où il voulait ou alors n'en utilisait aucune. Quand une tâche semblait n'avoir aucun sens pour lui, il le disait et refusait de la réaliser. Parfois, et cela devenait de plus en plus fréquent, il quittait la salle de classe sans permission et s'il n'était pas maintenu de force, rentrait à la maison.

Nous avons finalement trouvé une école qui fonctionnait pour Scott. Une école qui est loin d'être « l'école » que vous pouvez imaginer. Un peu plus tard je vous en dirai un peu plus à son propos ainsi que le mouvement éducatif international qui en a été inspiré. Mais ce livre n'est pas consacré à une certaine forme d'école. Il est consacré à la nature humaine de l'éducation.

Les enfants viennent au monde avec un désir ardent d'apprendre et ils sont génétiquement programmés avec d'extraordinaires capacités d'apprentissage. Ils sont de véritables petites machines à apprendre. Durant leurs quatre premières années environ, ils absorbent une quantité abyssale d'informations et de compétences sans aucune instruction. Ils apprennent à marcher, à courir, à sauter et à escalader. Ils apprennent à comprendre et à parler la langue de leur culture dans laquelle ils sont nés et avec ce lequel ils apprennent à s'affirmer en discutant, en s'amusant, en s'ennuyant, en se liant d'amitié et en posant des questions.

Ils acquièrent d'une quantité incroyable de connaissances à propos du monde physique et social qui les entoure. Cette exploration est motivé par leurs instincts et leurs pulsions innées, leur esprit ludique et leur curiosité naturelle. La nature n'éteint pas ce désir et cette capacité énorme à apprendre quand l'enfant à l'âge de cinq ou six ans. C'est nous-même qui l'éteignons avec notre système de scolarisation coercitif. La plus grande et persistante leçon de l'école est que l'apprentissage est du travail et qu'il doit donc être évité quand cela est possible.

Les mots de mon fils dans le bureau du directeur ont changé la direction de ma vie professionnelle ainsi que de ma vie personnelle. Je suis et j'étais à cette époque, un professeur en psychobiologie, un chercheur intéressé par les fondations biologiques des pulsions et émotions des mammifères. J'ai étudié le rôle de certaines hormones qui modélisé la peur chez des rats et des souris, et je venais de commencer récemment à regarder dans les mécanismes dans le cerveau des rats du mécanisme du comportement maternel.

Ce jour, dans le bureau du directeur, déclencha une série d'évènements qui changèrent progressivement le centre de mes recherches. Je commençais à étudier l'éducation à partir d'un point de vue biologique. En premier lieu, mes études étaient motivées principalement par soucis pour mon fils. Je voulais être sûr que nous ne faisions pas d'erreur en lui permettant de suivre son propre chemin éducatif plutôt qu'un chemin dicté par des professionnels. Mais progressivement, en même temps que je fus convaincu que l'éducation autodirigée de Scott se déroulait à merveille, mon intérêt tourna vers l'enfant en général et les causes biologiques de l'éducation humaine.

Qu'est-ce qui permet à notre espèce d'être un animal culturel ? En d'autres mots, quels aspects de la nature humaine permettent à chaque génération d'êtres humains, où qu'il se trouve, d'acquérir et de construire des compétences, des connaissances, des croyances, des théories et des valeurs à partir de la génération précédente ? Cette question m'a amené à examiner l'éducation dans des environnements extérieurs au système de scolarisation standardisé comme par exemple à la (non) école remarquable où mon fils à été présent.

Plus tard, j'ai observé le mouvement croissant de déscolarisation dans le monde entier (unschooling movement) pour comprendre comment les enfants de ces familles étaient éduqués. J'ai lu des travaux d'anthropologie et rencontré des anthropologues pour apprendre tout ce que je pouvais sur la vie et l'apprentissage des enfants dans les cultures de chasseurs-cueilleurs. J'ai étudié la totalité des travaux de recherche en psychologie et anthropologie sur le jeu des enfants et avec mes étudiants, j'ai dirigé de nouvelles recherches dans le but d'avoir une plus grande compréhension de la façon dont l'enfant apprend par le jeu. De tels travaux m'ont mené à comprendre comment les fortes pulsions des enfants pour jouer et explorer servent en réalité les fonctions de l'éducation, non pas seulement dans des cultures de chasseurs-cueilleurs mais aussi dans notre culture. Cela m'a amené à des compréhensions concernant les conditions environnementales qui optimisent les capacités des enfants à s'éduquer par eux-même à travers leurs propres moyens ludiques.


Tout cela m'a conduit à voir, si nous en avions la volonté, comment nous pourrions libérer les enfants d'une scolarisation coercitive et le fournir des centres de ressources pour l'apprentissage qui maximiseraient leurs habiletés à s'éduquer par eux-même sans les dépriver de leurs droits à une enfance joyeuse. Tous ces sujets sont contenus dans ce livre.

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