mercredi 19 août 2015

Libre d'apprendre BLOG25, Le jeu nous rend humain 1 : Une théorie ludique de la nature humaine

Le jeu nous rend humain 1 : Une théorie ludique de la nature humaine
Le jeu est le germe qui grandit pour nous rendre humain

J'ai travaillé sur une théorie ludique de la nature humaine. Dans le cas où vous n'auriez pas étudié le latin, ludique signifie amusement ou l'esprit de jeu. J'appelle ma théorie une théorie ludique car si je l'appelais une théorie de l'amusement elle ne serait pas prise au sérieux. Ceux qui considèrent le jeu comme très sérieux sont peu nombreux et il d'ailleurs très difficile de le considérer tel quel. Le jeu par défi nition est quelque chose qui n'est pas sérieux. Je suis sûr que c'est la raison pour laquelle la plupart des chercheurs gardent une distance à l'égard de ce sujet. Le grand classique de la littérature intellectuelle sur le jeu humain est intitulé Homo Ludens ce qui signifie littéralement l'homme joueur. Il fut écrit en 1938 par Johan Huizinga, un historien hollandais. Il s'agit d'un livre magnifique et qui m'a grandement inspiré. Sauf que ma théorie est très différente de celle de Huizinga.

Huizinga déclara clairement que sa théorie du jeu est culturelle et qu'il ne s'agit en aucun cas d'une théorie biologique. En contraste, ma théorie est fondamentalement biologique. Elle est aussi culturelle parce que, dans le domaine du comportement humain, la culture et la biologie sont inextricablement liées. Une autre grosse différence est que Huizinga tendait à assimiler le jeu avec le tournoi en se concentrant sur l'aspect agonistique ou compétitif du jeu tandis que j'affirme que le jeu est essentiellement non compétitif. Je peux comprendre pourquoi quelqu'un comme Huizinga, imprégné de l'histoire culturelle occidentale, est amené à voir le jeu comme principalement compétitif. Dans ma théorie, le tournoi est une transformation du jeu en quelque chose qui est l'opposé du jeu, une pulsion qui est de battre et dominer les autres. Quand nous mélangeons ces deux opposés, le jeu devient alors plus sérieux (et donc plus acceptable par les adultes contemporains) et la domination devient plus amusante, ce qui n'est pas nécessairement une mauvaise chose, mais il s'agit d'une chose différente que le jeu pur.

Dans le paragraphe ci-dessous, je trace une esquisse de la théorie ludique. Dans les articles suivants, je détaillerais les aspects spécifiques de la théorie en les accompagnant des preuves nécessaires.

Le rôle limité du jeu chez les mammifères non humains.

Chez la plupart des mammifères non humains, le jeu occupe pratiquement la totalité du temps des jeunes de toutes les espèces qui sert alors clairement à l'apprentissage et la pratique des aptitudes. Comme je l'ai fait remarqué dans mes textes précédents, dans le jeu, les jeunes mammifères pratiquent les compétences qu'ils ont besoin de développer afin de prospérer et de se reproduire à l'âge adulte. Les prédateurs pratiquent la prédation lorsque les jeunes tigres traquent et sautent sur des insectes, des feuilles portées par le vent ou même les uns les autres. L'animal de proie pratique la fuite des prédateurs, comme lorsque les petits zèbres esquivent et se précipitent dans leurs batifolages enjoués et leurs jeux sans fin de course poursuite avec les uns les autres. Les jeunes mâles de chaque espèce pratiquent le combat, tournant autour et en s'immobilisant ou essayant de se libérer l'un de l'autre dans des moyens spécifiques qui sont propres à chaque espèce. Les jeunes femelles de certaines espèces pratiquent aussi le soin en jouant à soigner les plus jeunes.

L'expansion des rôles du jeu chez les humains.

Nous les jeunes humains, avons hérité des caractéristiques du jeu de base de nos ancêtres animaux, mais dans le cours de notre évolution biologique et culturelle nous avons élaboré sur cette fondation et créer de nouvelles fonctions. L'esprit de jeu chez les humains ne termine pas quand l'âge adulte commence et il sert un grand nombre de fonctions au-delà de l'apprentissage de compétences spécifiques.

  • Le jeu est un moyen de supprimer l'agression et de promouvoir la coopération.

Le jeu social chez tous les animaux requière à ce que toutes les tendances à l'agression et à la domination soient supprimées. Cela est particulièrement vrai dans les imitations de combat, qui est une des formes les plus communes de jeu animal. La différence fondamentale entre le jeu de combat et le vrai combat est que le premier implique l'absence d'intention de blesser, de rejeter ou de dominer l'autre animal. Un jeu de combat entre deux jeunes animaux ne peut prendre place seulement si les deux partenaires sont disposés à jouer. Toute forme de véritable agression ou de tendance à dominer entraînerait l'animal menacé de s'enfuir et le jeu, avec son aspect amusant et ses opportunités pour apprendre, se terminerait. Et ces pourquoi, dans le cours de la sélection naturelle, les animaux ont développé des signaux pour laisser comprendre à l'autre que leurs attaques pour jouer ne sont pas des attaques réelles et ils ont développé, pour la raison du jeu, à s’auto-restreindre et développé des moyens pour s'auto-handicapper pour annuler le fonctionnement de toutes les tendances à dominer ou à blesser quelqu'un d'autre dans le jeu.

Nous avons hérité ces signaux et ces retenus qui établissent le jeu de nos ancêtres primates. C'est à travers l'évolution culturelle et biologique que nous avons ensuite construit sur ces bases. Nous avons amené l'esprit de jeux et ses signaux (tel que le rire) dans l'âge adulte et nous les utilisons de manière à promouvoir des moyens de coopérer et de partager les uns avec les autres qui vont bien au-delà des moyens des autres mammifères.

Je vais approfondir dans mon prochain article le fait que lorsque l'on amène un esprit de jeu au sein de nos interactions sociales, nous créons un esprit d'égalité et de liberté personnelle qui nous permet de surmonter nos pulsions humaines à nous dominer les uns les autres. Les sociétés chasseurs-cueilleurs étaient particulièrement brillantes dans la culture de l'esprit de jeu comme un moyen pour défaire l'agression et la domination. Leur mode de vie nécessitait une relation de coopération et de partage qui aurait pu facilement être battu par l'agression et la domination. Leur approche ludique de la vie sociale leur a semble t-il permit de survivre d'une manière relativement pacifique pendant des centaines de milliers d'années avant l'invention de l'agriculture. Dans notre culture aujourd'hui, le jeu et l'humour sont toujours des forces pour défaire l'agression, la domination et la hiérarchie bien que nous ne les utilisions pas aussi bien que ne le faisaient les chasseurs-cueilleurs.

  • Le jeu en tant que base pour les arts, la musique, la littérature, la science théorique, la religion et tout ce que nous appelons « la haute culture ».

Le jeu chez de nombreuses espèces est réalisé pour son aspect amusant et non pour remplir une nécessité pour survivre. Un jeune animal, ou un enfant qui joue peut apprendre, mais il n'apprend pas de manière consciente, il s'amuse tout simplement. Je ne sais pas si d'autres animaux ont un sens perceptuel de la beauté mais il est facile d'imaginer comment faire quelque chose simplement pour son côté amusant, jusqu'à l'être humain qui réalise quelque chose simplement pour la beauté de le faire.

Le jeu est aussi, par sa définition, créatif. Ce n'est pas une réponse automatique à une demande extérieure, mais il s'agit d'un comportement créatif qui dérive de l'intérieur. De plus le jeu est représentatif. Un jeu de combat n'est pas un combat, mais une représentation du combat. La prédation avec un esprit de jeu n'est pas une chasse mais la représentation d'une chasse. Chez l'homme, le pouvoir représentatif du jeu grandit immensément. Les enfants humains (les adultes aussi) peuvent non seulement représenter les combats et la chasse, mais absolument tout à travers le jeu. Le jeu procure ainsi la fondation de toute l'imagination.

La plaisanterie, la beauté, la créativité, la représentation, l'imagination sont toutes l'essence de l'art, de la musique, de la littérature, des sciences théoriques et (j'en parlerais plus tard) de la religion. Ces activités qui caractérisent notre espèce où qu'elle se trouve sont celles qui font de nous un être humain. Elles sont toutes originaires biologiquement du jeu. Le jeu est le germe biologique que nous héritons de nos ancêtres animaux et qui grandit en nous pour faire de nous des humains.

  • Le jeu en tant que base pour le travail productif

Chez les animaux, le jeu est complètement séparé des comportements productifs. La prédation en tant que jeu et la vraie prédation sont deux choses totalement différentes. Toutefois chez l'humain, l'esprit de jeu peut se lier à la productivité. Quand un travail productif se mêle aux qualités du jeu qui est la liberté, la créativité et l'imagination, nous faisons l'expérience du travail en tant que jeu. Les chasseurs-cueilleurs sont des génies pour garder leur travail productif au sein du royaume du jeu. Dans notre culture aujourd'hui, ceux qui ont la plus grande liberté de choix et d'opportunité de créer dans leur travail sont ceux qui seront les plus disposés à dire qu'ils aiment leur travail et qu'ils le voient comme un jeu.


  • Le jeu en tant que base pour l'éducation


Ce point étiré final fournit la ligne fonctionnelle la plus directe et clair qu'il y a dans le jeu animal et humain. Toutefois l'éducation chez les humains est bien plus que le simple fait d'apprendre que l'on trouve chez les autres espèces. Nous sommes des êtres culturels et l'éducation sert à la transmission de la culture d'une génération à une autre. Dans des articles précédents j'ai écrit comment le jeu sert de véhicule pour l'éducation des enfants, j'aurais bien plus à dire dans un prochain article à propos des façons dont le jeu animal a été modifié par les humains pour devenir une force puissante pour l'éducation.

Article publié par Peter Gray le 04 Juin 2009 et traduit par Michaël Seyne le 19 Août 2015