Le
jeu nous rend humain 2 : Achever l'égalité
Les
chasseurs-cueilleurs utilisaient l'humour et le jeu pour défaire la
domination et atteindre l'égalité
Nous,
humains, avons deux façons fondamentalement différentes
de nous diriger nous-même au sein des groupes sociaux. L'une d'elles
est la méthode de la hiérarchie, de la domination ou de la force.
Je n'ai pas besoin de décrire cette méthode en détail, nous sommes
tous familier avec celle-ci. Il s'agit de la méthode de diriger dans
laquelle ceux qui sont au pouvoir maintiennent l'ordre en disant aux
autres ce qu'ils doivent faire. Dans le monde de l'entreprise
conventionnelle,
c'est là où le patron dit aux employés ce qu'ils doivent faire et
dans le monde de l'état civil et des gouvernements nationaux, c'est
là où ceux qui sont au pouvoir, que ce soit un pouvoir fondé sur
l'hérédité, un coup militaire, l'affectation ou l'élection,
décident les lois et s'assure qu'elles soient respectées
par le peuple qui doit vivre selon celle-ci. Nous partageons cette
méthode de gouvernance avec les animaux qui sont les plus proches
de nous. Les mammifères qui vivent dans des groupes sociaux,
particulièrement les primates, développent
des hiérarchies dominantes
dans laquelle
ce qui se trouvent en haut contrôle certaines des activités de ceux
qui se trouvent
en dessous. La source ultime de contrôle
dans n'importe quel système de domination réside dans la
possibilité pour les individus dominants de blesser le subordonné
qui désobéit, en donnant de mauvaises notes aux étudiants, en
renvoyant les employés, ou en mettant en prison les contrevenants ou
simplement en frappant (physiquement ou psychiquement) ceux qui se
comporte d'une manière désobéissante.
L'autre
méthode est tellement peu discuté et connu qu'elle ne possède pas
de nom qui
soit communément
accepté. Parfois le terme d'anarchie est utilisé pour s'y référer,
mais ce terme transporte avec lui un poids péjoratif parce qu'il est
souvent utilisé pour désigner le chaos social. Je ne parle pas du
chaos mais de situation dans lequel les personnes respectent
des lois de bon cœur et librement et non pas à cause des menaces
qui sont imposé par d'autres beaucoup plus puissants. Je me réfère
à cette méthode de gouvernance comme étant la méthode du jeu,
parce que le jeu est là où nous la voyons le plus clairement et je
pense que le jeu en est toujours sa source ultime.
Le
jeu social demande à ce que la domination soit mise de côté
Le
jeu social est l'ennemie
de la hiérarchie et de la domination, il nécessite
l'égalité. Cela
est vrai dans le jeu de l'animal comme cela l'est dans le jeu de
l'humain. Dans leurs vies sérieuses quotidiennes, les jeunes singes,
particulièrement les jeunes singes mâles, sont concernés par les
statuts. Ils se disputent et combattent pour établir leurs positions
dans la hiérarchie de pouvoirs. La force physique, l'ingéniosité
et l'habileté à former des coalitions avec les autres contribuent
tous à la capacité d'achever un haut statut. L'activité sociale
pour laquelle les jeunes singes doivent mettre leurs soucis de
statuts de côté est le jeu.
Le
jeu par définition ne peut pas être contraint.
Si deux singes jouent ensemble ils doivent se sentir tous
les deux livres
et non pas menacé ou dominé par l'autre. Les jeunes singes aiment
jouer à se chasser les uns avec les autres. Ils
aiment aussi lutter et de tels jeux sont cruciaux pour leur sain
développement. Toutefois pour s'engager dans de tels jeux ils
doivent mettre leurs statuts de côté sinon le premier singe qui
sera subordonné s'enfuira ou s'immobilisera ce qui terminera
immédiatement le jeu. De manière à jouer avec des singes
subordonnés, les singes dominants doivent supprimer tous les signes
de la domination. S'ils sont plus forts, ils doivent
s'auto-handicaper de manière à ne pas surcharger le partenaire de
jeu le plus faible. S'ils sont ingénieux, ils doivent utiliser cette
habileté pour aider le moins malin et non pas lui faire obstacle.
Tous les mammifères ont des signes qui montrent le jeu. Les chiens
et les loups qui signalent le jeu est l'inclinaison (l'animal baisse
sa garde avant tandis qu'il fait face à son partenaire de jeu). Chez
les singes et les gorilles le signal est l'affichage d'une bouche
ouverte et relaxé, un visage de jeu est caractérisé par une bouche
grande ouverte avec la mâchoire inférieure qui retombe sans aucune
tension au niveau des muscles du visage. Chez les chimpanzés,
l'animal qui est le plus proche de l'homme, le visage de jeu est
souvent accompagné par une vocalisation "ahh, ahh, ahh"
qui ressemble au rire rauque d'un être humain. S'il était possible
de traduire en Français ces signes ils pourraient l'être comme ceci
: "Nous ne faisons que jouer, personne ne va être blessé, nous
avons mis de côté notre agressivité et notre position défensive,
nous coopérons dans cette activité pour notre amusement mutuel."
Comme
je l'ai expliqué
dans un article précédent sur la définition du jeu (lien),
tous les jeux,
même ceux qui semblent
être des jeux de combat et de lutte chez les enfants et les singes
ont des règles. Les règles précisent les
actions qui sont permises et celles non permises, elles servent à
garder le jeu organisé et amusant pour tous et empêchent un joueur
d'en blesser un autre. Les joueurs suivent les règles parce que le
jeu amusant et les joueurs savent intuitivement que le jeu ne le sera
plus et se terminera si les règles sont violées. Si un singe échoue
à prendre son tour à en chasser un autre ou si l'un pince un peu
trop fort, l'autre s'en ira et le jeu sera terminé. Les participants
sont motivés non pas seulement à suivre les règles, mais aussi
d'aller au-delà des règles pour rencontrer les besoins et les
désirs des autres. Dans mes observations des jeux d'âge mixte entre
enfants et adolescents j'ai été témoin plusieurs fois des manières
par laquelle les joueurs les plus forts et les plus capables
modifient leurs actions pour refréner leur domination et de garder
le jeu amusant pour tous (voir mon exemple
sur le football).
Voici
maintenant le point que je suis en train de construire. Chez les
êtres humains, l'esprit de jeu peut suffire pour toutes les formes
d'activités, ce qui inclut aussi le travail productif et quand il
prend place dans la gouvernance il peut surpasser et défaire
le mode hiérarchique. Les chasseurs-cueilleurs à travers le monde
semblent
avoir compris ceci et ils ont utilisé cette connaissance plus ou
moins délibérément
pour arranger leur entière existence sociale d'une manière qui leur
permet d'éviter la hiérarchie, la domination et la coercition.
La
nature égalitaire des sociétés de chasseurs-cueilleurs
Le
genre de société de chasseur-cueilleur auxquelles je me réfère
ici à
celles qui sont
parfois appelées
sous d'autres noms (de
l'anglais,
société
en bandes,
société
de retour immédiat).
Il s'agit des sociétés dans lesquels des personnes vivent au sein
de petits groupes indépendants constitué d'environ 20 à 50
individus chacun et qui se déplacent régulièrement d'un lieu à un
autre à l'intérieure d'une grande zone limité pour rester toujours
à proximité de la faune et de la flore comestible. Aujourd'hui de
tels sociétés sont toutes détruites par l'intrusion du monde
extérieure, mais il n'y a pas si longtemps que cela, au milieu du
XXème siècle, des anthropologues étaient capables
de trouver et étudier de telles sociétés dans une grande variété
de lieux du monde qui n'avaient pratiquement pas été affecté par
les
méthodes du monde moderne. Des
exemples tels que les Jul'hoansis, les Hadzas, les Mbutis, les Akas,
les Éfés en Afrique, les Bateks dans la péninsule Malaise, les
Aetas aux philippines, les Nayakas en Inde, les Guayakis au Paraguay,
les Parakanas au brésil et les Yiwaras en Australie.
Ces
sociétés sont d'une signification spéciale pour tous
ceux qui sont intéressés
à
la nature humaine, parce qu'elles sont supposément représentatives
de la manière prédominante dans laquelle les êtres humains
vivaient pendant des centaines de milliers d'années avant
l'avènement de l'agriculture (qui prit
place il y a environ 10.000 ans). Bien que de telles
sociétés
ne soient
pas des copies exactes
les unes des autres, elles ont toutefois certaines de leurs
fondations remarquablement similaires
les unes et les autres. L'une des plus significatives
pour illustrer
cet
essai est qu'elles
sont toutes
marquées
par un égalitarisme extraordinaire et un engagement total pour la
coopération et le partage. Les personnes
au sein d'un groupe coopèrent
pleinement les unes
avec les autres, sans
distinguer le degré de relation génétique, dans la chasse, la
cueillette, le soin aux enfants, la défense contre les prédateurs
et toutes les choses qui sont nécessaire pour la survie. Ils
partagent toute la nourriture et richesse matérielle de manière
égale à l'intérieur du groupe et ils leur arrivent aussi de
partager avec les groupes voisins qui sont dans le besoin. Un partage
et une coopération d'une telle intensité sont essentiels pour le
mode d'existence des chasseurs-cueilleurs, sans lequel, notre espèce
n'aurait probablement pas survécu tous ces millénaires avant
l'agriculture.
Mes
analyses
de la littérature anthropologique concernant de telles sociétés
m'ont mené à la conclusion qu'ils ont réussie à vivre d'une
manière égalitaire hautement coopérative en accentuant
délibérément leur esprit de jeu comme un moyen pour supprimer les
pulsions de domination que nous, humains, avons hérité de nos
ancêtres primates. [1]
Quasiment tous les aspects de la vie sociale des chasseurs-cueilleurs
semble être imprégnés de l'esprit de jeu. Leurs religions sont
ludiques ce qui contraste avec les religions hiérarchiques
menaçantes et renfermées qui ont émergées avec l'agriculture et
sont établies dans la période médiévale. Leur travail, ce qui
inclut la chasse et la cueillette, est ludique. Leur approche du soin
de l'enfant est ludique. La nature ludique de la religion, du travail
et du soin aux enfants chez les chasseurs-cueilleurs sera l'objet de
mes nombreux articles à venir. Pour le moment je souhaite me
concentrer sur les moyens, chez les chasseurs-cueilleurs, de prendre
des décisions collectives et de maintenir l'ordre au sein du groupe.
Selon
les mots de l'anthropologue Richard Lee, les chasseurs-cueilleurs
sont «intensément égalitaires ». Cet égalitarisme est
indissociable de leur sens dévoué à l'autonomie individuelle. Ils
ne croient pas qu'une autre personne ait le droit de dire à une
autre personne ce qu'elle doit faire. Les chasseurs-cueilleurs n'ont
pas de chefs ou de patrons qui leur donnent des ordres. Dans
l'histoire, les leaders viendront plus tard avec la montée des
sociétés tribales et de l'agriculture. Les chasseurs-cueilleurs
restreignent les possibilités de contrôler les autres par la force
et appliquent même cette restriction dans la relation parent-enfant.
Les parents peuvent essayer de persuader leurs enfants de se
comporter d'une certaine façon mais ils ne croient pas qu'ils ont le
droit de donner des ordres pour maintenir un pouvoir. En s'abstenant
de donner des ordres et en s'abstenant d'essayer de diriger les uns
et les autres, les chasseurs-cueilleurs gardent tout le potentiel de
leur vie sociale dans le domaine du jeu. Les groupes prennent des
décisions collectives en ayant recours à des discussions
importantes et en débattant jusqu'à ce qu'un consensus soit achevé.
Les personnes peuvent exprimer leurs opinions avec vigueur mais ils
n'utilisent pas des moyens coercitifs pour imposer ces opinions.
De
quel façon
les groupes de chasseurs-cueilleurs sont comme des groupes de jeu
Cette
approche non coercitive pour gouverner fonctionne pour les
chasseurs-cueilleurs car le groupe lui-même est similaire de bien
des façons à un groupe de jeu social. Les chasseurs-cueilleurs sont
des personnes hautement mobile. Ils ne possède pas plus de propriété
que ce qu'ils peuvent transporter facilement à pieds, et ils ont
tous des amis et des membres de leurs familles dans d'autres bandes,
si bien qu'ils peuvent se déplacer à tout moment d'une bande à une
autre. Comme lorsqu'une personne jouant à un jeu social est libre de
quitter le jeu si elle n'est pas satisfaite, les chasseurs-cueilleurs
sont libre de quitter la bande et en joindre une autre si ils ne sont
pas satisfait. Mais en même temps, les personnes sont motivés par
le fait de garder le groupe ensemble. Un groupe stable est plus
efficace pour répondre aux besoins de la survie de chacun que
lorsque les membres changent constamment. De plus, les personnes au
sein d'un groupe deviennent des amis proches et veulent rester
ensemble parce qu'il s'aiment les uns et les autres. Pour pouvoir
garder le groupe ensemble, les personnes se comportent de manière à
plaire aux autres afin de ne pas les faire partir.
De
la même façon, une tentative de contraindre un autre dans un jeu
social pourrait le provoquer à quitter le jeu, les tentatives de
contraindre les autres dans un groupe de chasseur-cueilleur
pourraient provoquer le départ de cette personne hors du groupe.
Même les enfants peuvent quitter un groupe pour vivre avec des
membres de leur famille d'une autre bande s'ils sentent qu'ils sont
mal traités.
De la même façon que la liberté de quitter est la source ultime de
toute la liberté et de l'égalité dans n'importe quel jeu social et
elle est aussi la source ultime de liberté et d'égalité au sein
d'une bande de chasseurs-cueilleurs. Les personnes au sein d'un
groupe sont motivées par la chasse, la cueillette et la
participation aux autres activités du groupe parce que de telles
activités, quand elles ne sont pas des
contraintes,
sont amusante et plaise ce qui permet de garder le groupe ensemble.
L'humour
comme un moyen de préserver
l'ordre et de prévenir la domination
De
nombreux anthropologues ayant vécu parmi des peuples vivant de
chasse et de cueillette ont remarqué leur bonne humeur, leurs
blagues, leurs moqueries et leurs rires facile. L'humour de
cette sorte
est commun dans tous
les jeux sociaux et il ajoute à la qualité ludique
de toutes
les interactions sociales. Rire ensemble aide à maintenir un sens de
proximité, d'amitié et d'égalité en permettant l'entretien d'un
sens du jeu. Des moqueries aimables sont
une manière de reconnaître tout en acceptant les défauts d'un
autre. Si bien que l'humour lui-même amène l'esprit du jeu dans les
activités sociales des personnes
et en même temps les motive à appliquer les règles et à coopérer
de bon cœur.
Un
nombre d'anthropologues ont commenté une autre utilisation de
l'humour parmi les chasseurs-cueilleurs qui est de corriger le
comportement de ceux qui d'une manière ou d'une autre perturbent
la paix ou violent une règle sociale. Par exemple, Colin Turnbull
écrit : « (Les Mbuti) ont une nature aimable avec un sens
de l'humour irrésistible,
ils sont toujours en train de faire des blagues à propos de l'un ou
de l'autre, même à propos d'eux-mêmes, mais cet humour peut servir
d'instrument de punition quand ils le choisissent. »[2]
D'une
manière similaire, Elizabeth Marshall Thomas a noté que les
Jul'hoansis parmi lesquels elle a vécu ne critiquaient pas les
personnes directement, mais le ferait plutôt avec l'humour. Elle
écrit : « La personne critiqué n'est pas supposée
recevoir une attaque avec les blagues mais doit lui permettre d'en
rire avec les autres. En de rares occasions quand le contrôle
de soi se brise, ce qui se passa lorsque deux femmes ne pouvaient
plus arrêter de se disputer, d'autres personnes se mettaient à
faire des chansons à propos d'elles et la chantaient lorsque les
disputes commençaient. En entendant la chanson, les deux femmes se
sentaient honteuses et devenaient silencieuses. Ainsi la communauté
triomphait sans mentionner directement le problème. » [3]
Richard
Lee a commenté encore plus directement l'utilisation de l'humour
chez les chasseurs-cueilleurs comme un outil pour étouffer les
bourgeonnements d'expressions de la supériorité individuelle et
pour maintenir le sens de l'égalité. Concernant les
chasseurs-cueilleurs en général, il écrit : « Il y a
une sorte de sens de l'humour un peu rude, critiquant, se moquant et
des blagues sexuelles que l'on rencontre dans le monde des
chasseurs-cueilleurs. […] Les personnes sont férocement
égalitaires. Elles sont outrés si quelqu'un essaye d'être
supérieur ou ostensiblement différent. Ils ont fait évolué,
indépendamment il semblerait, des moyens très efficace pour arrêter
cela. Ces moyens sont ce ques les anthropologues ont appelé «mise
en application de l'humilité » ou des dispositifs d'
«égalisation», comme par exemple l'utilisation de blague sévère
pour ramener la personne à la ligne. […] » [4]
Dans
son livre sur les Jul'hoansis,
Lee
raconte une merveilleuse histoire sur
la façon dont les personnes qu'il
étudiait ont tourné leur « égalisation » sur lui. [5]
À un moment donné de son travail sur le terrain, Lee décida de
récompenser les personnes qu'il étudiait en leur offrant un festin,
il leur acheta le bœuf le plus gras (550kg) qu'il puisse trouver
dans une communauté fermière proche. Il était excité à l'idée
d'annoncer ce cadeau et il espérait que les
Jul'hoansis
seraient reconnaissant. Quand il annonça le présent, il fut surpris
et blessé de voir que les personnes ne répondirent pas avec les
mots de gratitude qu'il espérait mais avec des insultes. Par
exemple, Benna, une grand-mère de soixante ans, se référait au
bœuf comme « un sac d'os » et demandait à l'amusement
de tous sauf de Lee, « Qu'est-ce que tu imagines que l'on va
pouvoir manger, les cornes ? ». Un homme Jul'hoansis qui
avait été le confident le plus proche de Lee lui dit d'un air
sérieux et moqueur : « Tu as toujours été honnête avec
nous, qu'est-il arrivé pour que ton cœur change ? Ou
bien es-tu aveugle au point de ne pas faire de différence entre une
vache convenable et une vieille épave ?» Et un tel humour a
continué tous les jours précédant le festin.
Lee
avait déjà connaissance de la pratique Jul'hoansi
qui
consiste à « insulter la viande » lorsque
les chasseurs en
amènent
dans le groupe et à un moment il commença à suspecter que cette
pratique était à présent utilisée
sur sa
personne.
Même
si sa fierté à fournir un tel cadeau merveilleux avait disparu, son
ego masculin avait été blessé. Il s'agissait bien là exactement
de l'objectif de ces insultes. Les Jul'hoansis le traitaient ici
comme ils l'auraient fait pour l'un de leurs chasseurs qui seraient
rentré chez eux avec une grosse proie en échouant à montrer la
modestie qui convient à son sujet. Comme l’expliquera à Lee par
la suite Tomazho, un sage guérisseur
Jul'hoansi :
« Quand un jeune homme ramène une telle viande, il en vient à
penser de lui-même qu'il est un grand homme et il pense à notre
propos que nous lui sommes inférieurs. Nous ne pouvons accepter
cela. Nous refusons qu'un d'entre nous se vante, car sa fierté va un
jour entraîner la mort de quelqu'un. Si bien que nous parlons de sa
viande comme ayant peu de valeur. De cette manière nous calmons son
cœur et lui inspirons de la gentillesse. »
L'efficacité
de l'humour, dans sa capacité à réduire l'agression et à
promouvoir l'humilité, vient, je pense, de sa relation directe avec
le jeu. Rendre une dispute ou une vantardise amusante en disant « Ce
désaccord qui te met tellement en colère ou cette chose dont tu es
si fière n'est pas aussi important que tu le penses. Il s'agit d'un
jeu et ce qui est important dans le jeu est d'être un bon
amusement. » Quand les chasseurs-cueilleurs utilisent l'humour
pour résoudre tous les problème sociaux dont ils font face (même
les plus sérieux), ils amènent leur vie sociale dans le domaine du
jeu.
La
relation entre le rire et le jeu repose profondément dans notre
conception biologique. Notre rire à
ses racines évolutives dans le visage de jeu du singe, le signal que
tous les primates utilisent pour supprimer la domination et permettre
le jeu. Le jeu de combat et de chasse qui est accompagné d'un rire,
est la forme d'humour originale. Quand les humains de n'importe quel
âge où culture, utilise l'humour pour réprimer une véritable
bagarre ou décourager un ego sur-gonflé, nous faisons appel à des
mécanismes biologiques très primitifs. Nous disons en pratique « Il
s'agit d'un jeu, et dans le jeu nous ne souhaitons blesser personne
et nous n'agissons pas d'une manière à dominer. » Nous le disons
d'une manière qui fonctionne parce que cela nous frappe au niveau
instinctif, aux tripes, que nous n'avons pas les moyens de réfuter
comme nous pouvons le faire si facilement au niveau intellectuel avec
des arguments verbaux.
Et
par cette utilisation de l'humour pour promouvoir l'humilité et la
paix, les chasseurs-cueilleurs capitalisent sur leurs instincts
humains à jouer. Ceux qui sont critiqués à travers l'humour ont
trois choix, ils peuvent joindre les autres dans le rire tout en
reconnaissant implicitement les bêtises qu'ils ont faite, ce qui les
remettent immédiatement au sein du jeu social. Ils peuvent sentir et
exprimer de la honte pour les actions qui les ont mené au ridicule,
ce qui les ramène dans les bonnes grâces des autres et leur permet
progressivement de ré-entrer dans le jeu. Ou bien, ils peuvent
mijoter un ressentiment jusqu'à ce qu'ils quittent le groupe ou
alors décident de changer leurs façons de faire. Un grand avantage
de l'humour comme un moyen de déclencher une réforme
comportementale est qu'elle laisse la personne punit libre de faire
ses propres choix et ne termine pas automatiquement leur sens de
l'autonomie et du jeu, comme cela arriverait si la punition
impliquait l'incarcération, la violence physique ou un bannissement
forcé.
-----------
Je
n'ai pas l'illusion que nous soyons capables, aujourd'hui, de nous en
sortir sans un gouvernement hiérarchique. Notre monde social est
bien trop large et complexe pour se gouverner entièrement par la
méthode du jeu. Au niveau civique, régional, national, mondial,
nous avons besoin des règles de la loi et certaines formes de
pouvoirs, préférablement formulé d'une manière démocratique,
pour les appliquer. Mais à un niveau plus local, par exemple celui
d'une école ou d'une entreprise, je pense que nous avons énormément
à apprendre des chasseurs-cueilleurs. En suivant leur modèle nous
pouvons, je pense, supprimer la coercition et instituer un esprit de
jeu dans pratiquement tous les aspects quotidiens de nos vies
sociales locales, ce qui inclut notre éducation et notre travail
productif. J'en dirai bientôt plus à ces sujets.
Pour
terminer je vous demanderais d'imaginer comment le monde aujourd'hui
serait différent si ces « titans » de l'industrie et de
la finance, qui croient être au-dessus du reste d'entre nous et se
verse des salaires et des bonus outrageants tout en étant très
déficient en matière d'intérêt pour les autres, s'ils avaient été
soumis au début de leur carrière au mode de nivelage des
chasseurs-cueilleurs. Quel monde différent aurions-nous ?
Aujourd'hui ces personnes ont très peu sensible au sens de l'humour
où qu'ils se trouvent, et il est trop tard pour rectifier les dégâts
qu'ils ont causés. Mais si nous gardons un tel humour et commençons
à l'appliquer au plus tôt des signes de l'apparition de
l'arrogance, nous pourrions voir certaines améliorations dans le
monde de l'entreprise du futur.
Références
[1] Peter Gray. Play as the foundation for hunter-gatherer social existence. American Journal of Play, 1, 476-522, 2009(link is external). All of the ideas presented in this essay are elaborated upon in this academic article. Also, some of the specific wording in the final section of this essay is taken from the article.
[2] Colin Turnbull, The Forest People (1968), p 114.
[3] Elizabeth Marshall Thomas, The Old Way (2006), p 218.
[4] Richard B. Lee, "Reflections on Primitive Communism," in T. Ingold, D. Riches & J. Woodburn (Eds.), Hunters and Gatherers I (1988).
[5] Richard B. Lee, The Dobe Ju/'hoansi, 3rd Edition (2003).
Texte
publié par Peter Gray le 11 Juin 2009 et traduit par Michaël Seyne
le 29 Août 2015
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