mercredi 25 novembre 2015

Krishnamurti et l'éducation, citation 01

L’autorité empêche d’apprendre
Nous apprenons généralement grâce par exemple à l’étude d’un livre, en faisant une expérience ou en étant instruit. Ce sont généralement les méthodes d’apprentissage habituelles. Nous dirigeons notre mémoire vers ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire, vers ce qu’il faut penser et ce qu’il ne faut pas penser, comment sentir, comment réagir.
Par l’expérience, par l’étude, par l’analyse, par l’investigation, par l’examen introspectif nous stockons la connaissance dans la mémoire, et la mémoire fait alors face aux défis et besoins suivants, lesquels introduisent de nouvelles expériences et de nouveaux apprentissages. Ce qui est appris est placé dans la mémoire en tant que connaissance et cette connaissance est utilisée à chaque fois qu’il y a un défi ou que nous avons à faire quoi que ce soit.
Je pense qu’il y a une manière d’apprendre totalement différente et je vais en parler un peu, mais pour la comprendre et apprendre de cette façon, vous devez être complètement libre de l’autorité car sans cela vous serez seulement instruit et vous répéterez ce que vous aurez entendu. C’est pourquoi il est très important de comprendre la nature de l’autorité. L’autorité empêche d’apprendre, et apprendre n’est pas l’accumulation de connaissances dans la mémoire. La mémoire répond toujours d’une manière schématique et conceptuelle, il n’y a là aucune liberté.
Un homme qui est écrasé par la connaissance et les instructions, qui est encombré par les choses qu’il a accumulées, n’est jamais libre. Il peut être un érudit extraordinaire mais son accumulation de connaissances l’empêche d’être libre et le rend donc incapable d’apprendre.
J. Krishnamurti, The Book of Life

mardi 17 novembre 2015

Libre d'apprendre BLOG30, Le jeu nous rend humain 6, la parentalité ludique des chasseurs-cueilleurs

Le jeu nous rend humain 6, la parentalité ludique des chasseurs-cueilleurs
Une parentalité ludique est basée sur la confiance.


N'avez vous jamais remarqué que nous, en tant que société, utilisons des métaphores agricoles pour parler de la parentalité et de l'éducation ? Nous parlons d'élever les enfants de la même façon que nous parlons d'élevage de poulets ou de croissance des tomates. Nous parlons d’entraîner nos enfants, comme nous parlons d’entraîner des chevaux. Notre façon de parler et de penser la parentalité suggère que nous possédons nos enfants de la même façon que nous pourrions posséder des plantes et du bétail et que nous sommes responsables de la façon dont ils grandissent et se comportent. Nous entraînons les chevaux à réaliser des tâches que nous voulons voir faire et nous entraînons (du moins, nous essayons d'entraîner) nos enfants à réaliser des tâches dont nous pensons qu'elles seront nécessaires pour leur succès futur. Que le cheval ou l'enfant le veuille d'un tel entraînement, nous le faisons quand même. L’entraînement demande la suppression de la volonté et de l'esprit de jeu de celui qui est entraîné. L'approche agricole de la parentalité n'est donc pas une approche ludique.


Les concepts de notre société concernant l'élevage et l’entraînement des enfants supposent une relation de dominant et de subordonné entre le parent et l'enfant. Le parent, l'enseignant ou un quelconque autre substitut parental a la charge et la responsabilité envers les actions de l'enfant. Le principal devoir de l'enfant est, du moins en théorie, d'obéir. Cette approche à la parentalité semble si naturelle pour nous qu'il semble difficile d'imaginer une alternative. Et pourtant, dans le contexte de notre longue histoire en tant qu'espèce, cette approche est nouvelle, elle arriva avec l'agriculture il y a environ 10.000 ans. Avant cela, nous étions tous chasseurs-cueilleurs et nous n'avions pas de métaphores agricoles pour guider nos pratiques parentales.


Dans cette série d'essais sur "le jeu nous rend humains", j'ai décrit les valeurs sociales et les pratiques des sociétés des chasseurs-cueilleurs en bandes. Ma thèse est que l'extension de la pulsion du jeu des primates chez nos espèces a permit à nos ancêtres d'adopter un style de vie bien plus social et coopératif que ceux d'autres primates (voir article). Il semble que les chasseurs-cueilleurs utilisaient le jeu et l'humour plus ou moins délibérément pour contenir les tendances dominatrices et encourager les sentiments de liberté personnelle et d'égalité qui étaient essentiels pour leurs moyens d'existence. Dans des essais précédents, j'ai parlé de l'approche ludique des chasseurs-cueilleurs pour :
(a) gouverner;
(b) la religion;
et (c) le travail productif.
Maintenant dans cet essai je vais décrire leur approche ludique de la parentalité. [1]


Avant cela et pour vous donner un aperçu de la philosophie des chasseurs-cueilleurs sur la parentalité, voici quelques extraits d’anthropologues ou d'autres personnes ayant vécu parmi des sociétés de chasseurs-cueilleurs et qui ont eu l'opportunité de les observer de près.


  • "Les chasseurs-cueilleurs ne donnent pas d'ordre à leurs enfants, par exemple, aucun adulte annonce leur d'aller se coucher. La nuit, les enfants reste près des adultes jusqu'à ce qu'ils se sentent fatigués et qu'ils s'endorment. [...] Les adultes Parakana n'interfèrent pas avec la vie des enfants. Ils ne les frappent, ne les grondent, ni ne se comportent agressivement envers eux, que ce soit physiquement ou verbalement. Et ils ne leur font pas non plus d'éloges ou d'encouragements pour contrôler leur développement." (Yumi Gosso "Le jeu dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs" dans "La nature de jeu, les grands singes et les humains" 2005, p 218)


  • "L'idée qu'il s'agisse de "mon enfant" ou de "votre enfant" n'existe pas (chez les Yequana du sud de l’Afrique). Décider de ce qu'une autre personne devrait faire, peu importe son age est en dehors du vocabulaire des comportements Yequana. Il y a un grand intérêt dans ce que chacun fait mais il n'y a pas d'impulsion (et encore moins de coercition) pour influencer quelqu'un. La volonté de l'enfant est sa propre force motivante." (Jean Liedloff, "Le concept de continuum" 1977, p90)
  • "Les enfants aborigènes sont laissé libre à un degré extrême et parfois ils continuent à téter jusqu'à l'âge de quatre à cinq ans. La punition physique pour un enfant est quasiment du jamais vu." (Richard A. Gould, Yiwara: Foragers of the Australian Desert, 1969, p90)


  • "Les bébés et les jeunes enfants (chez les chasseurs-cueilleurs inuits de la région d'Hudson Bay) ont la permission d'explorer leur environnement jusqu'au limites de leurs capacités physiques et avec une interférence minimum des adultes. Par conséquent, si un enfant s'approche d'un objet dangereux, les parents le laisse généralement explorer les dangers par lui-même. Ils considèrent que l'enfant sait ce qu'il fait." (Lee Guemple, "Enseignement des relations sociales chez les enfants inuits", dans "Chasseurs et Cueilleurs 2", 1988, p137)


  • "Les enfants Jul'hoansi d'Afrique pleurent très rarement, probablement parce qu'ils n'ont pas grand-chose qui les fasse pleurer. Aucun enfant ne se fait taper ou crier dessus. Aucune punition physique ou verbale. Ils n'ont jamais entendu de mot décourageant avant d'arriver à leur adolescence, et même là, s'il y a une réprimande, elle se fait toujours avec une voix calme." (Elizabeth Marshall Thomas, "The Old way", 2006, 198)


Vous pourriez penser qu'une telle indulgence conduit les enfants à être trop gâtés et insatiables qui les conduiraient à devenir par la suite des adultes trop gâtés et insatiables. Mais selon les anthropologues qui ont vécu parmi eux, rien ne serait plus éloigné de la vérité. Voici ce que dit Thomas (Old Way, p 198-199) à ce sujet: "Nous entendons souvent dire que les enfants qui seraient traité avec gentillesse seraient alors trop gâté, mais la raison est que ceux qui sont attachés à cette opinion n'ont aucune idée à quel point ce comportement à leur égard entraîne leur succès. Libéré de la frustration et de l'anxiété, joyeux et coopératifs, l'enfant est un rêve pour les parents. Aucune autre culture n'a jamais été capable de produire des enfants aussi intelligent, aimable et confiant."


Basé sur les lectures d'écrits d'anthropologues sûr de nombreuses cultures de chasseurs-cueilleurs, je caractériserais la parentalité chasseur-cueilleur de cette façon :


1. Les chasseurs-cueilleurs aiment leurs enfants autant que nous aimons les nôtres. Ils se réjouissent des naissances, pleurent la mort de leur enfant et apprécient leurs enfants autant que nous.


2. Les chasseurs-cueilleurs protègent les jeunes enfants des dangers sérieux, mais ne sont pas surprotecteurs. Les chasseurs-cueilleurs reconnaissent qu'ils doivent arranger leur environnement de certaines façons pour protéger les nourrissons et les très jeunes enfants. Par exemple, ceux qui chassent avec des flèches empoisonnées stock les flèches en hauteur hors de la portée des enfants. Toutefois pour les dangers moins sérieux, les chasseurs-cueilleurs croient qu'il est dans l'intérêt des jeunes enfants de les laisser explorer comme bon leur semble plutôt que de restreindre leurs explorations. Par exemple, il n'est pas rare de voir des tout-petits enfoncer des bâtons dans le feu de camp ou de jouer avec des couteaux aiguisés. L'expérience des chasseurs-cueilleurs montre que ces petits enfants se blessent rarement eux-même lors de telles activités et que de tels risques sont moins importants que les avantages de l'apprentissage de l'utilisation de ces objets très tôt. Les adultes croient qu'à partir du moment où les enfants commencent à préférer la compagnie des autres enfants avant celle des adultes (à environ quatre ans), ils ont suffisamment de bon sens pour prendre leurs décisions en fonction de ce qui est prudent de faire ou ce qui ne l'est pas. Les enfants de cet âge et plus âgées jouent dans des groupes d'âge mixtes en se trouvant souvent éloignés des adultes.


3. Les chasseurs-cueilleurs font confiance en leurs enfants. Les anthropologues utilisent généralement le terme d'indulgence pour caractériser le style parental des chasseurs-cueilleurs, mais je pense que le concept le plus fondamental est la confiance. Les parents acceptent les désirs des enfants parce qu'ils ont confiance dans leurs instincts et leurs jugements. Ils croient que les enfants savent mieux ce dont ils ont besoin et quand ils en ont besoin si bien qu'il n'y a pas ou très peu de conflits de volonté entre les adultes et les enfants. Si un bébé pleure ou montre un signe quelconque de détresse, n'importe quel adulte ou enfant proche répondra immédiatement pour voir quel est le problème et comment aider à le résoudre. La supposition qui est faites est que le bébé communique son besoin d'être aidé seulement lorsqu'il a besoin d'aide.


Les chasseurs-cueilleurs croient que les pulsions instinctives de l'enfant pour explorer sont équilibré par les peurs instinctives et par la connaissance de leurs propres capacités et limitations qui les mènent à tempérer leurs explorations avec une prudence appropriée. Des enfants de quatre ans ne vagabonderont pas dans des territoires peu familiers sans la compagnie d'un enfant plus vieux ou d'un adulte. Les enfants de tous âges n’essayeront pas de sauter par-dessus un gouffre dont ils sont physiquement incapables de sauter. Les enfants prennent constamment des risques pour étendre les limites de ce qu'ils peuvent faire, mais les risques sont faibles. Les enfants sont conçus par nature (aujourd'hui nous dirions par sélection naturelle) à faire toutes ces choses, si bien qu'ils apprendront à faire face à de véritables dangers lorsqu'ils se présenteront.


Concernant l'éducation, les chasseurs-cueilleurs ont conscience dans le fait que les enfants et les adolescents trouveront par eux-mêmes ce qu'ils ont besoin d'apprendre et l'apprendront par leurs propres pulsions à observer, explorer et jouer avec les aspects pertinents de leur environnement (voir l'article). Ils ont confiance que lorsque les jeunes personnes seront prêtes à contribuer d'une manière significative pour l'économie de la bande elles le feront avec une joie qui rend la coercition ou la persuasion inutile.


Je pense qu'une telle confiance devient une prédiction autoréalisatrice. Les personnes en qui l'on a eu confiance depuis le début deviennent généralement digne de confiance. Les personnes qui sont traités de cette façon ne grandissent pas en voyant la vie comme une question de dominer, de déjouer ou de manipuler les autres. Ils voient plutôt la vie en terme d'amitiés, de personnes qui s'aident les unes les autres de plein gré et avec joie pour satisfaire leurs besoins et leurs désirs. C'est l'attitude que j'ai décrite tout au long de cette série qui est l'approche ludique de la vie, l'approche qui fait ressortir les meilleurs aspects de notre humanité.


Le jeu, comme je l'ai répété dans cette série nécessite la liberté individuelle. Le jeu n'est plus du jeu lorsqu'une personne essaye d'en dominer une autre et de dicter ce qu'ils doivent faire. Si la vie est un grand jeu alors chaque joueur doit être libre de ses mouvements tout en respectant les règles générales du jeu, et dans ce cas, les règles plus larges de la société qui s'appliquent à tout le monde. S'immiscer dans les capacités du joueur à faire des choix est le moyen de détruire le jeu pour eux. Les interactions sociales, l'apprentissage, le travail productif et les pratiques religieuses deviennent des corvées pesantes plutôt que comme un jeu joyeux lorsqu'elles sont imposées et contrôlées par les autres. En s'abstenant d'utiliser leurs capacités physiques supérieures ou leurs prouesses mentales pour contrôler le comportement des enfants (ou de qui que ce soit) les adultes chasseurs-cueilleurs s'abstiennent de détruire le sentiment de jeu chez les enfants et chez eux-mêmes.


Le jeu nécessite un sentiment d'égalité et les chasseurs-cueilleurs sont remarquablement capables de retenir ce sentiment même lors de leurs interactions avec les jeunes enfants. Les jeunes enfants sont clairement moins fort, compétent ou informé que ne le sont les enfants plus âgés ou les adultes mais leurs besoins et leurs désirs sont tout autant légitimes et personne ne sait mieux que l' enfant lui-même quels sont ses besoins ou ses désirs. Les chasseurs-cueilleurs semblent comprendre ces vérités mieux que la plupart des personnes dans notre société actuelle.


Pourquoi est-ce que notre approche de la parentalité a changé à l'avènement de l'agriculture ? Ce n'est pas seulement parce que de nouvelles métaphores ont été disponibles. Mais plutôt, l'objectif de la parentalité a changé, elle est passé de l'accueil de la volonté de l'enfant à la suppression de la volonté de l'enfant parce que les besoins perçus par la société ont changé. Dans les prochains essais je parlerais plus de cela et pourquoi cela s'est passé ainsi et ensuite je parlerais de la façon dont comment, dans notre culture aujourd'hui, nous pourrions adopter un style de parentalité plus ludique.


------------
[1] The theme of this essay, and some of the wording, is taken from my recently published article, ". Play as the foundation for hunter-gatherer social existence," American Journal of Play, 1, 476-522, 2009


Publié par Peter Gray le 09 Juillet 2009, Traduit par Michaël Seyne le 16 Novembre 2015


Libre d'apprendre BLOG29, Le jeu nous rend humain 5, Pourquoi le travail des chasseurs-cueilleurs est du jeu

Le jeu nous rend humain 5, Pourquoi le travail des chasseurs-cueilleurs est du jeu
En le rendant optionnel, les chasseurs-cueilleurs font du travail un jeu.


Notre mot "travail" a deux significations. Il peut désigner une activité désagréable ou il peut signifier toute activité productive et utile en dépit du fait que cette activité soit agréable ou non. La première signification est à l'opposé du jeu tandis que la deuxième ne l'est pas. Nous utilisons le même mot pour les deux significations car j'imagine que dans l'histoire de notre culture les deux sens se sont chevauchés. Les activités productives réalisées par des esclaves, des serviteurs et des employés qui n'ont pas le sentiment d'avoir le choix à propos de ce qu'ils font est en fait du travail qui répond aux deux significations que l'on lui donne.


Pour distinguer les deux concepts, nous pouvons penser à eux de manière séparée, nous pouvons utiliser le terme "corvée" pour le premier (qui n'est pas une activité plaisante) et le travail pour le deuxième. En utilisant cette terminologie, la corvée est l'opposée du jeu, tandis que le travail ne l'est pas. Le travail peut être une corvée ou il peut être un jeu, ou il peut se trouver quelque part entre les deux.


Dans "l'essai précédent", j'ai décrit les caractéristiques du travail et les attitudes à son égard qui permettent à de nombreuses personnes dans notre société aujourd'hui de faire l'expérience de leur travail comme un jeu. Maintenant je vais prolonger ces idées en décrivant la façon dont les chasseurs-cueilleurs maintiennent leur subsistance sans avoir de corvées.


Comme je l'ai fait remarqué dans "l'essai d'introduction", toute cette série sur "Le jeu nous rend humain" a été inspirée par mon immersion dans mes recherches sur les sociétés de chasseurs-cueilleurs en bande. Qu'elles aient été étudiés dans des parties isolées de l'Afrique, de l'Asie, de l'Amérique du sud, de l'Australie ou d'ailleurs, toutes ces sociétés ont révélé une qualité d'esprit de jeu extraordinaire. Aujourd'hui, de telles sociétés ont pratiquement toutes été détruites ou alors se trouvent dans une période de transition vers quelque chose de complètement différent. Bien qu'il n'existe maintenant que des vestiges, j'utilise le temps présent (parfois appelé le "présent anthropologique") pour les décrire. Dans des essais précédents, j'ai montré :
(a) comment les enfants de chasseurs-cueilleurs s'éduquent eux-même à travers le jeu;
(b) comment les chasseurs-cueilleurs utilisent le jeu et l'humour pour maintenir un système social et économique fondé sur des principes de partage, de coopération, d'autonomie individuelle et d'égalité;
et (c) comment l'esprit de jeu se propage dans les croyances et pratiques religieuses des chasseurs-cueilleurs de manière à renforcer leur approche de la vie égalitaire.


D'une manière générale, les chasseurs-cueilleurs ne connaissent pas le concept de corvée. Quand ils connaissent ce concept c'est qu'il vient généralement de leurs contacts avec les étrangers. Ils peuvent se référer au mot de corvée pour faire référence au travail de leurs voisins fermiers, mineurs ou constructeurs de routes mais ils ne l'appliquent pas à leur propre travail. Leur propre travail est simplement une extension du jeu des enfants. Les enfants jouent à la chasse, à la cueillette, à la construction de hutte, à la conception d'outils, à la préparation des repas, à la défense contre les prédateurs, à l'accouchement, au soin des enfants, à la guérison, à la négociation et ainsi de suite jusqu'à ce que les activités de leurs jeux deviennent progressivement efficaces et productives. Le jeu devient alors du travail sans pour autant cesser d'être du jeu. Il est même bien plus amusant qu'avant car la production de qualité aide d'autres personnes et est valorisée par la totalité du groupe.


Mes lectures concernant la vie au sein de différentes cultures de chasseurs-cueilleurs m'ont conduit à la conclusion que leur travail est du jeu pour quatre raisons principales :
(1) Il est varié et nécessite beaucoup d'intelligence et de compétences.
(2) Il n'occupe pas beaucoup de temps.
(3) Il est réalisé dans un contexte social, avec des amis.
(4) (Qui est le plus significatif), Il est optionnel à tout moment et pour qui que ce soit.
Je vais développer chacun de ces points.


Le travail des chasseurs-cueilleurs est du jeu parce qu'il est varié et demande beaucoup de compétences, de connaissances et d'intelligence


En dehors de la distinction générale entre les hommes principalement chasseurs et les femmes principalement cueilleurs (une distinction qui est remarquable dans la plupart mais pas dans toutes les sociétés de chasseurs-cueilleurs), les chasseurs-cueilleurs ne se spécialisent pas. Tout le monde est impliqué dans la plupart des activités de l'économie de la société. De plus chacune de ces activités nécessite de grandes compétences, connaissances et capacité à prendre des décisions.


Les anthropologues se sont émerveillé devant l'immense intelligence et les nombreuses compétences montré par les chasseurs-cueilleurs durant leurs chasses. Les outils de la chasse, tels que les arcs et les flèches, les sarbacanes et les fléchettes, les lances ou les filets, doivent être confectionnés à la perfection et les compétences pour utiliser ces outils de manières efficaces doivent être développés pendant des années à jouer avec eux. Les chasseurs doivent aussi apprendre les habitudes d'environ deux cents à trois cents différentes espèces de mammifères et d'oiseaux qu'ils chassent ce que les enfants font en faisant des jeux d'imitation des animaux qui les entourent. Ils apprennent à identifier chaque animal aussi bien par la vue que par leurs sons ou leurs traces.


Un livre a été écrit en présentant la thèse que le pistage du gibier par les chasseurs marque l'origine de ce que nous appelons aujourd'hui la science. [2] Les chasseurs utilisent les marques qu'ils voient dans le sable, la boue ou les feuilles comme indice en les combinant avec leurs connaissances accumulées et leurs expériences passées pour développer et tester des hypothèses à propos de sujet tel que la taille, le sexe, la condition physique, la vitesse de mouvement, et le temps de passage de l'animal qu'ils pistent. Pour décrire les capacités de pistage des chasseurs-cueilleurs Jul'hoansi du désert Kalahari d'Afrique, Alf Wannenburgh a écrit: "Tout est constaté, examiné et discuté. La simple marque étrange sur un brin d'herbe, la direction de quelques branches écrasées dans un buisson, la profondeur, la taille, la forme et la disposition des empreintes au sol, tout cela révèle des informations à propos de la condition de l'animal, de la direction dans laquelle il se dirige, la vitesse de son allure et les possibilités de ses futurs mouvements." [3]


La cueillette de denrées alimentaires demande tout autant de connaissances et de compétences. Les chasseurs-cueilleurs doivent savoir quels sont parmi l'innombrable variété de racines, de tubercules, de noix, de céréales, de fruits et légumes de leur région sont comestibles et nutritifs, quand et où les trouver, comment les atteindre (lorsqu'il faut creuser pour des racines et des tubercules), comment extraire la partie comestible de manière efficace (dans les cas des céréales, des noix et certaines plantes fibreuses) et dans certains cas comment les transformer pour les rendre comestible et plus nutritif qu'ils ne le seraient sans cela. Ces compétences comprennent des compétences physiques qui ont été perfectionné par des années de pratique et aussi la capacité à se souvenir, à utiliser, à ajouter et à modifier une réserve de connaissance verbale partagée immense.


Dans notre société aussi, le travail qui est varié et qui demande de nombreuses compétences et connaissances, ainsi que la capacité à prendre beaucoup de décision est un travail qui est considéré bien plus comme un jeu que comme un travail routinier. La chaîne d'assemblage est l'ennemie du travail vécut comme un jeu. Heureusement avec les robots pour faire des travaux d'assemblages, les activités les moins amusantes peuvent être laissées derrière nous, et nous allons dans un monde dans lequel le travail, une fois encore a le potentiel d'être du jeu.


Le travail des chasseurs-cueilleurs est du jeu parce qu'il n'y en a pas une grande quantité.


Les anthropologues ont souvent montré que le travail des chasseurs-cueilleurs demandait beaucoup de compétences mais pas beaucoup de corvées répétitives. Les études de recherche suggèrent que le travail des chasseurs-cueilleurs nécessite entre 20 à 40 heures de travail par semaine en moyenne selon ce que l'on considère comme du travail. De plus, ils ne travaillent pas en suivant des horaires, ils travaillent quand le temps est propice pour que le travail soit fait et le font quand ils se sentent de le faire. Il y a un temps important durant lequel les chasseurs-cueilleurs vivent pour la réalisation d'activité de loisir, comme des jeux de toutes sortes, des cérémonies religieuses ludiques, la réalisation et l'utilisation d'instrument de musique, le chant, la danse, les voyages vers d'autres bandes pour visiter des amis et de la famille, le commérage ou encore simplement prendre du temps pour se poser et se relaxer. La vie d'un chasseur-cueilleur typique ressemble beaucoup à notre vie lorsque nous prenons des vacances dans un camping avec des amis.


Il est incroyable de constater que durant les 10,000 années qui suivent le début de l'agriculture et de l'industrie, nous avons développé un grand nombre de dispositifs pour nous faciliter la tâche alors que nous n'avons pourtant pas réduit nos corvées. Aujourd'hui, la plupart des personnes passent plus de temps à travailler que ne le font les chasseurs-cueilleurs et notre travail a d'une manière générale beaucoup moins l'esprit du jeu.


Le travail des chasseurs-cueilleurs est du jeu parce qu'il est réalisé dans un contexte social entouré d'amis.


Nous sommes une espèce très sociale. Nous aimons être avec d'autres personnes, particulièrement avec ceux qui nous connaissons bien et nous aimons faire ce que nos amis font. Les chasseurs-cueilleurs ont des vies très sociables. Pratiquement toutes leurs activités sont publiques. La plupart de leur travail est réalisé de manière coopérative et ce qui est réalisé individuellement l'est aussi dans des environnements sociaux, entouré des autres. Et parce que les chasseurs-cueilleurs sont des personnes particulièrement mobiles qui se déplacent vers un autre groupe s'ils n'aiment pas les personnes avec lesquels ils vivent. Les groupes sont constitués sur la base de véritables amitiés. En général nous humain, ce que nous faisons avec des amis à un esprit de jeu plus important que si nous le faisions seul ou avec des collaborateurs qui ne sont pas vraiment des amis.


Les hommes chassent généralement d'une manière qui nécessite le travail d'équipe et les femmes cherchent la nourriture en groupe. Wannenburh, qui a étudié ces dernières au sein d'un groupe Jul'hoansi, a écrit : "Dans ce que nous avons expérimenté, toutes les expéditions de cueillette étaient des évènements joyeux. Ils avaient le don de transformer un travail de routine en des occasions sociales, il y avait souvent une ambiance de sortie de pique-nique avec les enfants." [4] Dans une description des moyens qu'utilisent les Bateks pour choisir une tâche ou former un groupe de travail chaque jour, Kirk Endicott a écrit : "Il peut s'agir d'un groupe totalement différent que celui du jour précédent car les Bateks aiment la variété à la fois dans leurs travails et chez leurs compagnons." [5]


Les chasseurs-cueilleurs réalisent une activité productive d'une manière ludique parce que chaque personne choisit s'ils le font ou pas et si oui, quand et comment.


Et maintenant j'atteins l'ingrédient du jeu le plus déterminant, le sentiment de choix. Le jeu, par sa définition est optionnel, c'est quelque chose que l'on choisit de faire et non quelque chose que l'on doit faire. Comment les chasseurs-cueilleurs conservent le sentiment d'avoir le choix concernant le travail qu'ils font ?


Il est clair que dans un sens ultime, le travail des chasseurs-cueilleurs n'est pas optionnel. En tant que groupe, ils doivent chasser, cueillir, fabriquer des outils, construire des huttes et ainsi de suite s'ils veulent survivre. Toutefois, pour chaque personne et chaque jour, tout cela est optionnel. Comme je l'ai noté dans mes essais précédents, les chasseurs-cueilleurs, où qu'ils se trouvent, conservent une extraordinaire éthique d'autonomie personnelle à un degré tel qu'il semble, selon nos normes, particulièrement extrême. Ils évitent délibérément de dire aux autres comment ils doivent se comporter, que ce soit au travail ou dans n'importe quel autre contexte. Chaque personne est son propre chef.


À n'importe quel jour dans un camp de chasseurs-cueilleurs, un groupe de chasse ou de cueillette peut se former. Le groupe est constitué seulement de ceux qui veulent chasser ou cueillir ce jour même. Le groupe décide collectivement où est-ce qu'ils iront et comment ils approcheront leur tâche. Quiconque est mécontent de la décision prise est libre de former un autre groupe, d'aller chasser ou cueillir seul, de rester au camp toute la journée ou de faire toute autre activité à condition qu'elle ne perturbe pas les autres. Il n'y a pas de punition pour avoir fait marche arrière. Une personne qui ne chasse ou ne cueille pas recevra tout de même sa part de toute la nourriture qui serait ramenée. En adoptant cette stratégie, les chasseurs-cueilleurs évitent d'être freiné dans leurs recherches de nourriture par quelqu'un qui serait là seulement à contre-coeur et aurait une mauvaise attitude en conséquence. Et comme ils adoptent cette stratégie, tous les membres du groupe peuvent faire l'expérience de la chasse ou de la cueillette d'une manière ludique.


À n'importe quel jour, un membre du groupe peut rejoindre un groupe pour chercher de la nourriture ou visiter un ami dans un autre camp, ou simplement rester au camp et se détendre selon ce qu'il ou elle sent qu'elle veut faire. Une telle liberté ouvre la possibilité d'une forme de parasitisme par les individus qui choisissent de ne pas chasser ou de ne pas cueillir pendant une période de temps étendu, mais de tels comportements sur le long terme semblent n'arriver que très rarement, voire pas du tout. Il est excitant d'aller chasser ou cueillir à l'extérieur avec les autres et il serait ennuyeux que de rester au camp jour après jours. Le fait qu'à n'importe quel jour, le travail est optionnel et autodirigé permet de le garder dans le domaine du jeu. Je suis certain que la perception de la nécessité d'obtenir de la nourriture et d'accomplir les autres tâches a une influence sur la décision de ce que font les personnes, mais ce sentiment de nécessité n'est pas dominant d'un jour sur l'autre et par conséquent ne détruit pas le sentiment de jeu.


De mon point de vue, le génie des sociétés de chasseurs-cueilleurs repose dans leurs capacités à accomplir des tâches qui doivent être accomplies tout en maximisant l'expérience de libre choix pour chacune des personnes. Cela est essentiel à l'esprit de jeu. Ils réussissent à accomplir cela par leur volonté de tout partager ce qui supprime immédiatement le lien entre le travail et l'obtention des nécessités pour vivre. Même les chasseurs et les cueilleurs les plus travailleurs et qui réussissent le mieux ne reçoivent pas plus de nourriture lors du retour au camp que n'en reçoit n'importe quelle personne du groupe.


C'est une attitude très différente de celle que nous avons. Pour nous il semble injuste que quelqu'un qui travaille moins que les autres reçoive autant de prime que les autres. Mais c'est parce que nous voyons le travail comme une corvée. Si le produit nécessite la réalisation d'une corvée, alors celui qui peine le plus devrait être celui qui reçoit le plus du produit. Si quelqu'un est fainéant et ne fait pas de corvée, ils ne devraient pas avoir de récompenses. C'est notre conception de la justice et elle est raisonnable. Mais alors que se passerait-il si nous pensions au travail comme à un jeu, quelque chose que nous voulons faire simplement parce que c'est amusant. Avec cette attitude, pourquoi ceux qui obtiennent la récompense intérieure qui est propre au jeu, ce processus qu'ils aiment tellement, dont ils ont beaucoup de compétences pour le réaliser et y participe le plus devrait avoir aussi la plus importante récompense extérieure, le produit ?


Les économistes tout comme les psychologues du comportement voient la vie comme une question qui concerne le donner et le prendre, le coût et le bénéfice, l'effort et la récompense. De ce point de vue, le travail est ce que vous faites pour obtenir un bénéfice. Si quelqu'un reçoit le bénéfice sans avoir fait le travail, quelque chose ne va pas. Les économistes et les psychologues du comportement parlent de cela comme si c'était essentiel à la nature humaine. Mais ils se trompent. Aussi loin que nous pouvons le voir, les chasseurs-cueilleurs vivaient comme ils vivent aujourd'hui, sans conception de récompense pour le travail fait, pendant des centaines de milliers d'années avant l'avènement de l'agriculture. Ils n'ont pas conçu la vie en terme de coûts et de bénéfices. Ils l'ont vu en réalité comme une aventure ludique. La réalisation d'une chose est faite parce qu'elle est amusante et vous partagez la prime avec tous ceux que vous connaissez peu importe ce que ces personnes ont faite. Et ces précisément à cause de cette attitude que les personnes réalisent de bon coeur et avec joie le travail qui doit être fait comme si cela faisait partie du jeu.


Une manière de penser à tout cela implique le concept de confiance. Les chasseurs-cueilleurs font simplement confiance, tant que le travail est du jeu, que les personnes sont bien traités et qu'elles sont véritablement libre de prendre leurs propres décisions, la grande majorité des personnes contribuera avec plaisir au bien être du groupe par les moyennes dont elles disposent.
I'm not suggesting that we can import the hunter-gather approach whole cloth into our current culture. I'm sure that can't be done. But there are areas where this way of thinking would make life more fun for all of us. Think about it. When I approach my work with others as play I don't mind doing more than the others, for no more extrinsic rewards than they get. The rewards of play lie in the doing, not in the end.
Je ne suggère pas que nous pouvons importer l'approche des chasseurs-cueilleurs de toutes pièces dans notre culture. Je suis certain que ce n'est pas possible. Mais il y a des domaines ou cette façon de penser rendrait la vie bien plus amusante pour chacun d'entre nous. Par exemple lorsque j'accomplis mon travail avec les autres comme s'il s'agissait d'un jeu, je ne me soucie guère de savoir si j'en ai fait plus que les autres et d'avoir une récompense plus importante qu'eux. La récompense du jeu repose dans le processus et non le résultat final.

Notes
[1] Documentation for the points made in the following paragraphs can be found in my article, *"Play as the foundation for hunter-gatherer social existence," American Journal of Play, 1, 476-522, 2009.(link is external)* In these paragraphs I have used some of the same wording that I used in that article.
[2] Louis Liebenberg, 
The Art of Tracking: The Origin of Science (1990).
[3] Alf Wannenburgh, 
The Bushmen (1979), p 41.
[4] Wannenburgh, 
Bushmen, p 30.Hu
[5] Kirk Endicott, 
Batek Negrito Religion (1979), p 16.


Publié par Peter Gray le 02 Juillet 2009 et traduit par Michael Seyne le 10 Novembre 2015