mardi 17 novembre 2015

Libre d'apprendre BLOG30, Le jeu nous rend humain 6, la parentalité ludique des chasseurs-cueilleurs

Le jeu nous rend humain 6, la parentalité ludique des chasseurs-cueilleurs
Une parentalité ludique est basée sur la confiance.


N'avez vous jamais remarqué que nous, en tant que société, utilisons des métaphores agricoles pour parler de la parentalité et de l'éducation ? Nous parlons d'élever les enfants de la même façon que nous parlons d'élevage de poulets ou de croissance des tomates. Nous parlons d’entraîner nos enfants, comme nous parlons d’entraîner des chevaux. Notre façon de parler et de penser la parentalité suggère que nous possédons nos enfants de la même façon que nous pourrions posséder des plantes et du bétail et que nous sommes responsables de la façon dont ils grandissent et se comportent. Nous entraînons les chevaux à réaliser des tâches que nous voulons voir faire et nous entraînons (du moins, nous essayons d'entraîner) nos enfants à réaliser des tâches dont nous pensons qu'elles seront nécessaires pour leur succès futur. Que le cheval ou l'enfant le veuille d'un tel entraînement, nous le faisons quand même. L’entraînement demande la suppression de la volonté et de l'esprit de jeu de celui qui est entraîné. L'approche agricole de la parentalité n'est donc pas une approche ludique.


Les concepts de notre société concernant l'élevage et l’entraînement des enfants supposent une relation de dominant et de subordonné entre le parent et l'enfant. Le parent, l'enseignant ou un quelconque autre substitut parental a la charge et la responsabilité envers les actions de l'enfant. Le principal devoir de l'enfant est, du moins en théorie, d'obéir. Cette approche à la parentalité semble si naturelle pour nous qu'il semble difficile d'imaginer une alternative. Et pourtant, dans le contexte de notre longue histoire en tant qu'espèce, cette approche est nouvelle, elle arriva avec l'agriculture il y a environ 10.000 ans. Avant cela, nous étions tous chasseurs-cueilleurs et nous n'avions pas de métaphores agricoles pour guider nos pratiques parentales.


Dans cette série d'essais sur "le jeu nous rend humains", j'ai décrit les valeurs sociales et les pratiques des sociétés des chasseurs-cueilleurs en bandes. Ma thèse est que l'extension de la pulsion du jeu des primates chez nos espèces a permit à nos ancêtres d'adopter un style de vie bien plus social et coopératif que ceux d'autres primates (voir article). Il semble que les chasseurs-cueilleurs utilisaient le jeu et l'humour plus ou moins délibérément pour contenir les tendances dominatrices et encourager les sentiments de liberté personnelle et d'égalité qui étaient essentiels pour leurs moyens d'existence. Dans des essais précédents, j'ai parlé de l'approche ludique des chasseurs-cueilleurs pour :
(a) gouverner;
(b) la religion;
et (c) le travail productif.
Maintenant dans cet essai je vais décrire leur approche ludique de la parentalité. [1]


Avant cela et pour vous donner un aperçu de la philosophie des chasseurs-cueilleurs sur la parentalité, voici quelques extraits d’anthropologues ou d'autres personnes ayant vécu parmi des sociétés de chasseurs-cueilleurs et qui ont eu l'opportunité de les observer de près.


  • "Les chasseurs-cueilleurs ne donnent pas d'ordre à leurs enfants, par exemple, aucun adulte annonce leur d'aller se coucher. La nuit, les enfants reste près des adultes jusqu'à ce qu'ils se sentent fatigués et qu'ils s'endorment. [...] Les adultes Parakana n'interfèrent pas avec la vie des enfants. Ils ne les frappent, ne les grondent, ni ne se comportent agressivement envers eux, que ce soit physiquement ou verbalement. Et ils ne leur font pas non plus d'éloges ou d'encouragements pour contrôler leur développement." (Yumi Gosso "Le jeu dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs" dans "La nature de jeu, les grands singes et les humains" 2005, p 218)


  • "L'idée qu'il s'agisse de "mon enfant" ou de "votre enfant" n'existe pas (chez les Yequana du sud de l’Afrique). Décider de ce qu'une autre personne devrait faire, peu importe son age est en dehors du vocabulaire des comportements Yequana. Il y a un grand intérêt dans ce que chacun fait mais il n'y a pas d'impulsion (et encore moins de coercition) pour influencer quelqu'un. La volonté de l'enfant est sa propre force motivante." (Jean Liedloff, "Le concept de continuum" 1977, p90)
  • "Les enfants aborigènes sont laissé libre à un degré extrême et parfois ils continuent à téter jusqu'à l'âge de quatre à cinq ans. La punition physique pour un enfant est quasiment du jamais vu." (Richard A. Gould, Yiwara: Foragers of the Australian Desert, 1969, p90)


  • "Les bébés et les jeunes enfants (chez les chasseurs-cueilleurs inuits de la région d'Hudson Bay) ont la permission d'explorer leur environnement jusqu'au limites de leurs capacités physiques et avec une interférence minimum des adultes. Par conséquent, si un enfant s'approche d'un objet dangereux, les parents le laisse généralement explorer les dangers par lui-même. Ils considèrent que l'enfant sait ce qu'il fait." (Lee Guemple, "Enseignement des relations sociales chez les enfants inuits", dans "Chasseurs et Cueilleurs 2", 1988, p137)


  • "Les enfants Jul'hoansi d'Afrique pleurent très rarement, probablement parce qu'ils n'ont pas grand-chose qui les fasse pleurer. Aucun enfant ne se fait taper ou crier dessus. Aucune punition physique ou verbale. Ils n'ont jamais entendu de mot décourageant avant d'arriver à leur adolescence, et même là, s'il y a une réprimande, elle se fait toujours avec une voix calme." (Elizabeth Marshall Thomas, "The Old way", 2006, 198)


Vous pourriez penser qu'une telle indulgence conduit les enfants à être trop gâtés et insatiables qui les conduiraient à devenir par la suite des adultes trop gâtés et insatiables. Mais selon les anthropologues qui ont vécu parmi eux, rien ne serait plus éloigné de la vérité. Voici ce que dit Thomas (Old Way, p 198-199) à ce sujet: "Nous entendons souvent dire que les enfants qui seraient traité avec gentillesse seraient alors trop gâté, mais la raison est que ceux qui sont attachés à cette opinion n'ont aucune idée à quel point ce comportement à leur égard entraîne leur succès. Libéré de la frustration et de l'anxiété, joyeux et coopératifs, l'enfant est un rêve pour les parents. Aucune autre culture n'a jamais été capable de produire des enfants aussi intelligent, aimable et confiant."


Basé sur les lectures d'écrits d'anthropologues sûr de nombreuses cultures de chasseurs-cueilleurs, je caractériserais la parentalité chasseur-cueilleur de cette façon :


1. Les chasseurs-cueilleurs aiment leurs enfants autant que nous aimons les nôtres. Ils se réjouissent des naissances, pleurent la mort de leur enfant et apprécient leurs enfants autant que nous.


2. Les chasseurs-cueilleurs protègent les jeunes enfants des dangers sérieux, mais ne sont pas surprotecteurs. Les chasseurs-cueilleurs reconnaissent qu'ils doivent arranger leur environnement de certaines façons pour protéger les nourrissons et les très jeunes enfants. Par exemple, ceux qui chassent avec des flèches empoisonnées stock les flèches en hauteur hors de la portée des enfants. Toutefois pour les dangers moins sérieux, les chasseurs-cueilleurs croient qu'il est dans l'intérêt des jeunes enfants de les laisser explorer comme bon leur semble plutôt que de restreindre leurs explorations. Par exemple, il n'est pas rare de voir des tout-petits enfoncer des bâtons dans le feu de camp ou de jouer avec des couteaux aiguisés. L'expérience des chasseurs-cueilleurs montre que ces petits enfants se blessent rarement eux-même lors de telles activités et que de tels risques sont moins importants que les avantages de l'apprentissage de l'utilisation de ces objets très tôt. Les adultes croient qu'à partir du moment où les enfants commencent à préférer la compagnie des autres enfants avant celle des adultes (à environ quatre ans), ils ont suffisamment de bon sens pour prendre leurs décisions en fonction de ce qui est prudent de faire ou ce qui ne l'est pas. Les enfants de cet âge et plus âgées jouent dans des groupes d'âge mixtes en se trouvant souvent éloignés des adultes.


3. Les chasseurs-cueilleurs font confiance en leurs enfants. Les anthropologues utilisent généralement le terme d'indulgence pour caractériser le style parental des chasseurs-cueilleurs, mais je pense que le concept le plus fondamental est la confiance. Les parents acceptent les désirs des enfants parce qu'ils ont confiance dans leurs instincts et leurs jugements. Ils croient que les enfants savent mieux ce dont ils ont besoin et quand ils en ont besoin si bien qu'il n'y a pas ou très peu de conflits de volonté entre les adultes et les enfants. Si un bébé pleure ou montre un signe quelconque de détresse, n'importe quel adulte ou enfant proche répondra immédiatement pour voir quel est le problème et comment aider à le résoudre. La supposition qui est faites est que le bébé communique son besoin d'être aidé seulement lorsqu'il a besoin d'aide.


Les chasseurs-cueilleurs croient que les pulsions instinctives de l'enfant pour explorer sont équilibré par les peurs instinctives et par la connaissance de leurs propres capacités et limitations qui les mènent à tempérer leurs explorations avec une prudence appropriée. Des enfants de quatre ans ne vagabonderont pas dans des territoires peu familiers sans la compagnie d'un enfant plus vieux ou d'un adulte. Les enfants de tous âges n’essayeront pas de sauter par-dessus un gouffre dont ils sont physiquement incapables de sauter. Les enfants prennent constamment des risques pour étendre les limites de ce qu'ils peuvent faire, mais les risques sont faibles. Les enfants sont conçus par nature (aujourd'hui nous dirions par sélection naturelle) à faire toutes ces choses, si bien qu'ils apprendront à faire face à de véritables dangers lorsqu'ils se présenteront.


Concernant l'éducation, les chasseurs-cueilleurs ont conscience dans le fait que les enfants et les adolescents trouveront par eux-mêmes ce qu'ils ont besoin d'apprendre et l'apprendront par leurs propres pulsions à observer, explorer et jouer avec les aspects pertinents de leur environnement (voir l'article). Ils ont confiance que lorsque les jeunes personnes seront prêtes à contribuer d'une manière significative pour l'économie de la bande elles le feront avec une joie qui rend la coercition ou la persuasion inutile.


Je pense qu'une telle confiance devient une prédiction autoréalisatrice. Les personnes en qui l'on a eu confiance depuis le début deviennent généralement digne de confiance. Les personnes qui sont traités de cette façon ne grandissent pas en voyant la vie comme une question de dominer, de déjouer ou de manipuler les autres. Ils voient plutôt la vie en terme d'amitiés, de personnes qui s'aident les unes les autres de plein gré et avec joie pour satisfaire leurs besoins et leurs désirs. C'est l'attitude que j'ai décrite tout au long de cette série qui est l'approche ludique de la vie, l'approche qui fait ressortir les meilleurs aspects de notre humanité.


Le jeu, comme je l'ai répété dans cette série nécessite la liberté individuelle. Le jeu n'est plus du jeu lorsqu'une personne essaye d'en dominer une autre et de dicter ce qu'ils doivent faire. Si la vie est un grand jeu alors chaque joueur doit être libre de ses mouvements tout en respectant les règles générales du jeu, et dans ce cas, les règles plus larges de la société qui s'appliquent à tout le monde. S'immiscer dans les capacités du joueur à faire des choix est le moyen de détruire le jeu pour eux. Les interactions sociales, l'apprentissage, le travail productif et les pratiques religieuses deviennent des corvées pesantes plutôt que comme un jeu joyeux lorsqu'elles sont imposées et contrôlées par les autres. En s'abstenant d'utiliser leurs capacités physiques supérieures ou leurs prouesses mentales pour contrôler le comportement des enfants (ou de qui que ce soit) les adultes chasseurs-cueilleurs s'abstiennent de détruire le sentiment de jeu chez les enfants et chez eux-mêmes.


Le jeu nécessite un sentiment d'égalité et les chasseurs-cueilleurs sont remarquablement capables de retenir ce sentiment même lors de leurs interactions avec les jeunes enfants. Les jeunes enfants sont clairement moins fort, compétent ou informé que ne le sont les enfants plus âgés ou les adultes mais leurs besoins et leurs désirs sont tout autant légitimes et personne ne sait mieux que l' enfant lui-même quels sont ses besoins ou ses désirs. Les chasseurs-cueilleurs semblent comprendre ces vérités mieux que la plupart des personnes dans notre société actuelle.


Pourquoi est-ce que notre approche de la parentalité a changé à l'avènement de l'agriculture ? Ce n'est pas seulement parce que de nouvelles métaphores ont été disponibles. Mais plutôt, l'objectif de la parentalité a changé, elle est passé de l'accueil de la volonté de l'enfant à la suppression de la volonté de l'enfant parce que les besoins perçus par la société ont changé. Dans les prochains essais je parlerais plus de cela et pourquoi cela s'est passé ainsi et ensuite je parlerais de la façon dont comment, dans notre culture aujourd'hui, nous pourrions adopter un style de parentalité plus ludique.


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[1] The theme of this essay, and some of the wording, is taken from my recently published article, ". Play as the foundation for hunter-gatherer social existence," American Journal of Play, 1, 476-522, 2009


Publié par Peter Gray le 09 Juillet 2009, Traduit par Michaël Seyne le 16 Novembre 2015


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